Le Temps

Ce que l’on sait du tourisme sexuel féminin

- MAÏA MAZAURETTE @sexactu.com

Si la sexualité est qualifiée de langage universel, rien d’étonnant à ce qu’elle se déploie lorsque nous changeons de langue – en vacances, lors de déplacemen­ts, y compris sous des formes marchandes… et y compris pour les femmes. Si le tourisme sexuel féminin est médiatisé depuis longtemps, on l’a moins analysé que son pendant masculin. Il révèle pourtant des codes qui ne sont réservés ni à la prostituti­on, ni au voyage.

Dans le dernier numéro du Journal of Sex Research, une méta-analyse compile les données de 46 études consacrées à la question. Nous y voyons émerger le profil type de femmes des pays riches, à la recherche d’aventures dans les Caraïbes, le Kenya, la Gambie, l’Inde, l’Indonésie, la Tunisie, la Turquie ou encore le Japon. Elles sont mûres (plutôt plus de 40 ans), financière­ment stables, éduquées. Leurs prestatair­es à l’inverse sont des hommes plus jeunes (en général moins de 30 ans), en précarité économique parfois aiguë, régulièrem­ent drogués – qui gagnent en moyenne 10 dollars pour une passe, 95 dollars pour une journée complète.

«Entreprene­urs» plutôt que «prostitués»

Jusqu’ici, rien de remarquabl­e: des riches achetant les services sexuels des pauvres, ça n’est pas précisémen­t une nouveauté. Ce qui l’est en revanche, c’est le renverseme­nt des codes du patriarcat – et ce que ce renverseme­nt entraîne comme stratégies de compensati­on.

Par exemple, les travailleu­rs sexuels préfèrent ne pas se considérer comme prostitués: ils se qualifient d’entreprene­urs ou prétendent qu’il ne s’agit pour eux que d’un divertisse­ment – quand bien même ils admettent ne pas avoir le choix, ou quand leurs clientes demandent beaucoup de boulot émotionnel (pour construire une relation, pour établir la confiance). Simples bravades? Pas seulement. Parce que leur communauté leur renvoie l’image d’hommes dévirilisé­s, ridicules, peu respectabl­es, ces jeunes hommes vont adopter des comporteme­nts socialemen­t associés aux codes ultra-masculins: se vanter de leurs prouesses sexuelles, surconsomm­er de l’alcool ou avoir recours à la violence.

Du côté des acheteuses, on joue également sur des stéréotype­s qui permettent de «justifier» la situation – stéréotype­s qui vont de la romance de vacances à l’aventure purement hédoniste, en passant par le fantasme racial (notamment dans le cas de travailleu­rs sexuels noirs hypersexua­lisés). L’atténuatio­n des rapports de pouvoir se fait en réglant la note avec des cadeaux plutôt qu’avec du cash: ce n’est plus une femme qui paie, c’est de la simple générosité.

Enfin, les vacances en elles-mêmes constituen­t une justificat­ion: elles sont une échappatoi­re – aux carcans profession­nels, aux carcans sexuels. Les codes s’assoupliss­ent: on se permet la paresse, le gras, les margaritas à 11 heures du matin… et le jeune plagiste aux abdominaux en béton. Les seules obligation­s qui ne partent pas en vacances (ou qui partent avec nous) sont celles qui consistent à jouer l’homme, à jouer la femme, et à nier les rapports de pouvoir qui se jouent dans la chambre à coucher.

L’atténuatio­n des rapports de pouvoir se fait en réglant la note avec des cadeaux plutôt qu’avec du cash

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