Et d’autres lectures estivales
Même si les oeuvres mettant en scène des squales dentés ont souvent coulé dans les pires eaux du septième art, quelques grands opus surnagent. Dont ce petit bijou qu’est «The Shallows» (2016)
Les travers de sport de Servan Peca; les bons films de requins dénichés par Nicolas Dufour; «On danse à Randogne»: une carte blanche au photographe Bertrand Rey; les mots fléchés et le sudoku.
L’élite intellectuelle mondiale fait preuve de mauvaise foi en prétendant que, hormis le Spielberg, tous les films de requins sont des navets. Ce rejet prouve surtout la fainéantise des cinéphiles. Pour eux et pour tout le monde, il existe une méthode presque infaillible permettant de distinguer un film de squales pas trop mal d’un navet: c’est le sonomètre aquatique. Lorsque les poissons voraces rugissent, le film est nul – ou c’est un attachant nanar. Quand ils sont silencieux, oscillant dans l’eau sans bruit jusqu’à l’atroce capture d’humains, le film est en principe au moins sympathique, voire excellent.
Après Les Dents de la mer (1975), ses ersatz et autres dérivés, les nouveaux bons thrillers océaniques apparaissent dans les années 2000. Avec Open Water, saisissante petite bande fabriquée à moins de 200 000 dollars, qui raconte le calvaire d’un couple oublié par le bateau lors d’une plongée de groupe. Ces deux-là sont perdus dans l’eau, sans aucune perspective, peu à peu entourés de redoutables formes longilignes avec des dents: voulu ainsi par le réalisateur Chris Kentis afin de relever un défi technique, le propos est ramené au plus simple.
Sept ans après cette initiative américaine, en 2010, apparaît une réplique australienne, The Reef. Le cinéaste Andrew Traucki, qui avait déjà abusé du fil dentaire avec Black Water et son crocodile croqueur, a dit vouloir faire, enfin, le film de requin australien, pays qui est la mère des squales – on y tourne d’ailleurs plein de ces horribles histoires. Le film, avec ces amis abandonnés sur un bateau
ayant chaviré, qui choisissent presque tous de nager jusqu’à une île lointaine, rappelle Open Water, mais il est conçu avec bien plus de moyens et s’impose comme un excellent suspense d’épouvante. Il brille en outre par son choc final.
En somme, le film de requin n’est jamais aussi bon que quand il touche à l’essentiel. La preuve, éclatante, est fournie en 2016 avec The Shallows (Instinct de survie), un chef-d’oeuvre dans le registre de… la survie, justement. Jaume Collet-Serra y filme son actrice, Blake Lively, de manière obsessionnelle, et pour cause: il n’y a qu’elle, la mer et le requin.
Il est question d’une surfeuse américaine venue pratiquer sur une plage qu’avait connue sa regrettée mère, et qui se trouve à la fois attaquée et piégée par la marée montante. Les pointilleux y trouveront moult invraisemblances – mais depuis quand les films de requins doivent-ils être réalistes? Le film reformule l’essentiel, l’affrontement de la traquée et du prédateur. C’est une confrontation organique, à l’image du Duel voiture-camion de 1971, le téléfilm qui a guidé son auteur, Steven Spielberg, durant l’infernale conception des Dents de la mer.
Une production dodue
En sus, The Shallows est un des rares films du genre à exploiter la matérialité de la mer, les courants, les aléas des marées, tout en contrastant le cauchemar avec de superbes images par drone de la plage paradisiaque.
Ces oeuvres fondamentalement austères n’ont pas empêché que le genre soit relancé il y a quelques mois par une production dodue comme un phoque. Gavé de capitaux américains et chinois, The Meg concrétise, 20 ans plus tard, l’adaptation d’un roman qui avançait l’hypothèse du réveil d’un mégalodon.
Le filon avait déjà été exploité dans nombre de navets des années 2010, car les rémoras des films fauchés n’attendent plus que le grand Hollywood se remue. Film spectaculaire, plaisant, The Meg opère une synthèse des grands motifs récents du genre. De quoi repartir sur de bonnes nageoires.
■