Haydé, la griffe de velours d’une dessinatrice qui parle aux enfants
Lausannoise d’ascendance perse, la dessinatrice pousse l’amour des animaux jusqu’au végétarisme. Son félin a fait le tour du monde. Il est de retour en librairie et à BDFIL
«On ne peut pas manger cette souffrance. Certains arrivent à en faire abstraction. Moi, j’ai réussi à ne plus en faire abstraction»
Felix, Krazy Kat, Fritz the Cat, Garfield, le chat de Gaston, Fat Freddy’s Cat… Ils sont innombrables, les chats d’encre et de papier. Milton occupe une place à part. Parce que ce félidé noir et blanc a existé en chair et en os. Il était le chat de Haydé, et elle l’a «aimé à la folie» avant de le dessiner. Douze ans après s’être éteint à l’âge canonique de 17 ans, Milton vit toujours dans le coeur de Haydé et dans celui des enfants du monde qui lisent en huit langues Moi Milton, Le Noël de Milton, Milton et le corbeau, Les Vacances de Milton, La Fugue de Milton et autres livres publiés à La Joie de lire.
Après une éclipse, le chat au long museau revient cet automne sur deux fronts. Avec L’Univers de Milton, un album qui invite les jeunes lecteurs à repérer une série de motifs dans des planches panoramiques suivant le matou au bord d’une rivière, chez le vétérinaire ou sur les toits de Lausanne. Et au festival BDFIL, où il accueille les enfants dans quatre cabanes en bois dédiées au dessin, à la lecture, au lancer d’anneaux et de boules.
Oiseaux et poissons
Haydé Ardalan entretient un rapport ambivalent avec les têtes blondes. Elle a la tendresse bourrue, elle les rabroue s’ils piornent et malheur à celui qui lui tirerait la langue en loucedé dans le train: il serait gratifié d’une grimace de Carabosse susceptible de l’envoyer chez le psychologue.
Mais, restée elle-même un enfant, la dessinatrice visite régulièrement les classes d’école. Elle parle aux élèves de son chat préféré, leur montre des photos. Ils sont sidérés de voir que le matou de papier a existé pour de vrai. Et puis elle les fait dessiner Milton en commençant par confisquer les gommes, «car le premier geste est toujours le plus beau». Les gosses s’accrochent à elle «comme des autocollants», et elle regrette que l’abus de mangas et de Disney leur fasse trop tôt perdre leur personnalité graphique.
Fille d’un diplomate iranien et d’une artiste, Haydé a suivi son père dans ses diverses affectations en France, en Italie, en Angleterre, au Japon… Elle a eu l’anglais pour première langue, cultivée au sein d’écoles internationales. Elle parle persan, mais le lit et l’écrit difficilement. Elle reste profondément attachée à l’Iran où elle se rend chaque année.
Son père lui a «appris l’amour de la terre, de l’eau». Des souvenirs de camping en forêt, de balades en voilier affleurent. Même la musique iranienne qu’elle détestait jadis l’envoûte désormais. «J’ai tout le temps la nostalgie de l’Iran», soupire-t-elle. Elle n’a pas pu y aller pendant dix ans après la Révolution islamique de 1979. Lorsque la double nationalité a été admise, elle a filé «comme une flèche» récupérer son passeport dans une ambassade ornée de «portraits de Khomeiny plus grands que celui de Milton à BDFIL»…
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Haydé a eu deux passions: la cuisine et le dessin, et parfois elle regrette de ne pas s’être installée aux fourneaux. Elle se rattrape en illustrant des rubriques gastronomiques, en nourrissant un projet de livre de cuisine végétarienne. Les miniatures aux couleurs suaves dont elle enlumine clafoutis et mirepoix se ressentent d’une influence persane.
Elle qui n’a jamais vraiment lu de bandes dessinées, hormis quelques comics américains et Tintin en anglais, admet que les oiseaux et les poissons qu’elle peint sont d’ascendance persane, et sort des esquisses de Kilim Cat, un projet très graphique mêlant l’ombre des chats au motif des tapis.
Et puis elle exhibe deux peintures, réalisées quand elle avait 15 ans, des jungles pleines d’animaux, directement inspirées du Douanier Rousseau. Pour entrer aux Beaux-Arts, elle a présenté ces oeuvres de jeunesse à des experts comme Jean Otth et Werner Jeker, «morts de rire» face au motif et impressionnés par la technique. Elle a suivi une formation de graphiste, un vrai métier lui avait-on dit, contrairement à l’art qui ne mène à rien.
Escargot et pingouin
Haydé aime les chats. Elle aime tous les animaux. Il y a quinze ans, même si elle apprécie l’agneau à la menthe, elle a renoncé à la viande, car «on ne peut pas manger cette souffrance. Certains arrivent à en faire abstraction. Moi, j’ai réussi à ne plus en faire abstraction.» Elle morigène les écoliers qui se vantent d’écraser les escargots, brandit une pancarte devant la Migros pour interdire le foie gras. Elle est membre de L214, Quatre Pattes, Association PEA, Greenpeace, Sea Shepherd, Animals Asia… «Si je gagne à la loterie, je verserai tout à ces associations», jure-t-elle.
Le monde va mal et cela affecte Haydé. Elle lutte avec ses moyens. Elle a un projet alliant photos et dessins autour d’un nouvel animal en noir et blanc. Elle a trouvé sur un chantier un petit pingouin en peluche abandonné. Elle imagine qu’il a dérivé sur un iceberg et cherche sa famille à travers le vaste monde. Elle le trimballe en voyage et le photographie se désaltérant à une fontaine japonaise ou shampouiné par une lavandière iranienne. «Je suis un peu folle», soupire-t-elle. Peutêtre. Mais c’est une folie douce qui fait du bien à l’âme des enfants de tous âges. ▅