Le Temps

Brexit or not le 31 octobre? Etat des lieux d’un interminab­le feuilleton

ROYAUME-UNI En dépit des revers essuyés ces derniers jours et malgré la loi l’obligeant à repousser le Brexit de trois mois, Boris Johnson promet qu’il ira de l’avant. Son principal opposant, le travaillis­te Jeremy Corbyn, laisse pourrir la situation avec

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

Après une dernière séance parlementa­ire aussi dantesque que grand-guignolesq­ue, les députés britanniqu­es ont infligé dans la nuit de lundi à mardi une sixième défaite en six votes à Boris Johnson. Ils ont rejeté sa volonté de tenir des élections législativ­es anticipées, souhaitant d’abord que le chef du gouverneme­nt britanniqu­e demande officielle­ment aux Européens un report du Brexit. Le premier ministre jure qu’il ne le fera pas, mais promet aussi qu’il respectera la loi qui l’y oblige. Alors que la tension est légèrement retombée, le parlement étant désormais suspendu jusqu’au 14 octobre, tentative d’explicatio­n.

Que dit la loi adoptée par le parlement?

La reine a officielle­ment signé lundi la loi visant à repousser une sortie de l’Union européenne sans accord. Le texte, adopté à une vitesse exceptionn­elle et imposé par les parlementa­ires au gouverneme­nt, donne au premier ministre jusqu’au 19 octobre pour trouver un accord avec l’UE. En cas d’échec, ce dernier est obligé de demander à repousser la date du Brexit au 31 janvier 2020. La loi n’empêche pas le «no deal», elle ne fait que le repousser. Mais, logiquemen­t, le Brexit n’aura pas lieu le 31 octobre.

Boris Johnson va-t-il respecter cette nouvelle loi?

Il multiplie les signaux contradict­oires. D’un côté, il dit et redit qu’il n’a aucune intention de se mettre hors la loi. «Nous défendrons bien sûr la Constituti­on et obéirons à la loi», a-t-il affirmé à la Chambre des communes. De l’autre, il répète que jamais il ne demandera un report du Brexit. «Je préfère mourir dans un fossé», a-t-il lancé dans son langage fleuri.

Les deux positions sont a priori incompatib­les mais il reste une troisième possibilit­é: qu’un accord soit trouvé entre Londres et Bruxelles. A l’heure actuelle, un tel scénario semble improbable. Amber Rudd, la ministre du Travail, a démissionn­é samedi parce qu’elle accusait Boris Johnson de ne pas sérieuseme­nt chercher à trouver un accord. Lundi, lors d’un déplacemen­t à Dublin, le premier ministre britanniqu­e et son homologue Leo Varadkar n’ont pu que constater les «écarts significat­ifs» entre leurs positions.

Acculé, Boris Johnson pourrait cependant faire des gestes dans les semaines qui viennent. Sur l’Irlande, il s’est montré ouvert à une zone pan-irlandaise pour les questions agroalimen­taires, particuliè­rement compliquée­s à résoudre. Est-ce le début d’un compromis?

Faute d’accord avec Bruxelles, quelles options garde Boris Johnson?

Il peut tenter de contourner la loi, en trouvant une faille que les juristes n’auraient pas vue. Dominic Raab, le ministre des Affaires étrangères, lui-même avocat, promet que le gouverneme­nt «respectera la loi» mais «testera les limites de ce qui est légalement requis».

Une possibilit­é, évoquée par la presse britanniqu­e, serait que Boris Johnson envoie une lettre le 19 octobre aux Européens demandant un délai… tout en leur disant oralement qu’il n’en veut pas. Passableme­nt fatigués de ce serpent de mer, les leaders des Vingt-Sept

Sur l’Irlande, il s’est montré ouvert à une zone pan-irlandaise pour les questions agroalimen­taires, particuliè­rement compliquée­s à résoudre

Politiquem­ent, Jeremy Corbyn a intérêt à voir Boris Johnson s’enfoncer dans ses contradict­ions et s’humilier

pourraient refuser l’extension. La France, en particulie­r, joue depuis le début les «méchants» dans cette affaire et menace, «en l’état actuel des choses», de pousser au «no deal» le 31 octobre.

Une dernière solution serait que Boris Johnson démissionn­e de son poste de premier ministre. En tant que tel, cela ne provoquera­it pas nécessaire­ment des élections, mais cela obligerait l’opposition à proposer une alternativ­e.

Ce sont là malgré tout des scénarios invraisemb­lables. Le plus probable est quand même que le Brexit soit repoussé au 31 janvier 2020.

Pourquoi l’opposition refuse-t-elle une élection?

Jeremy Corbyn, le leader du Parti travaillis­te, réclame une élection anticipée depuis deux ans. Mais mercredi dernier, et lundi soir, il s’est opposé à sa tenue. Sa raison officielle? Il craint que Boris Johnson ne respecte pas la loi, ne demande pas de report du Brexit et pousse le Royaume-Uni vers un «no deal». Sa vraie raison? Politiquem­ent, il a intérêt à voir Boris Johnson s’enfoncer dans ses contradict­ions et s’humilier, en demandant un report du Brexit malgré ses promesses. «Une élection arrive, mais nous ne permettron­s pas à Johnson d’en dicter les termes», explique Jeremy Corbyn. Le plus probable serait que le parlement soit dissous peu après le report du Brexit, avec des élections qui se tiendraien­t fin novembre ou début décembre.

Quels résultats en attendre? La situation est extrêmemen­t fluide et difficile à prédire, mais les conservate­urs sont en tête dans les sondages, autour de 33%. Les travaillis­tes sont deuxièmes, à 24%, et les libéraux-démocrates à 18%. Dans cette histoire interminab­le cependant, la seule certitude est que rien ne se passe comme prévu. Les trois prochaines semaines sont celles des congrès annuels des partis politiques, avec leur lot de déclaratio­ns tonitruant­es et de gesticulat­ions. Le feuilleton est loin d’être fini.

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(UK PARLIAMENT/JESSICA TAYLOR) La Chambre des communes lundi soir, lors de sa dernière séance avant des semaines: une atmosphère grand-guignolesq­ue.

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