La medtech à la merci d’un accord-cadre
Sans accord-cadre avec l’UE, l’industrie suisse des techniques médicales devrait revoir ses autorisations de commercialisation de produits dès mai 2020 ■ L’adaptation pourrait prendre jusqu’à deux ans, tandis que la perte de chiffre d’affaires est estimée à 1 milliard de francs sur trois ans ■ Les grandes sociétés supporteraient les coûts grâce à leur présence dans l’UE, mais les plus petites structures (94%) pourraient voir leur survie menacée ■ La medtech, c’est 1400 entreprises pour 15,8 milliards de francs de chiffre d’affaires, 11,3 milliards de francs d’exportations et 58 000 emplois
En l’absence d’accord institutionnel avec l’UE d’ici à la fin de mai 2020, les 1400 sociétés actives dans les techniques médicales devront revoir leurs autorisations de commercialisation de produits. La branche s’attend à une perte de chiffre d’affaires de 1 milliard de francs
L’absence d’accord-cadre avec l’Union européenne (UE) pourrait lourdement pénaliser l’industrie suisse des techniques médicales (medtech). Son accès au marché unique dépend de la mise à jour de l’Accord sur la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de la conformité (ARM), qui échoit le 26 mai 2020, selon Anita Holler, responsable de la communication et des affaires publiques auprès de Swiss Medtech, à Berne. La branche medtech comprend 1400 entreprises, y compris les sous-traitants, pour 15,8 milliards de francs de chiffre d’affaires, 11,3 milliards de francs d’exportations et 58000 emplois.
Sans ARM, le retard de commercialisation devrait atteindre un an et la perte de chiffre d’affaires 1 milliard de francs en trois ans, selon un sondage réalisé au sein des membres. «Il en résulte que plus de 1000 emplois sont menacés, soit l’équivalent des effectifs de Medtronic en Suisse, et que, peut-être plus grave, les perspectives de croissance seront sensiblement réduites», indique Patrick Dümmler, chef de projet auprès d’Avenir Suisse.
Concrètement, sans ARM, les entreprises suisses seraient reléguées au rang de sociétés de pays tiers et non plus égales aux concurrentes de l’UE. «Cela signifie que les fabricants doivent désigner un mandataire possédant une succursale au sein de l’UE, et aussi adapter l’ensemble de l’étiquetage de leurs produits», selon la porte-parole. L’adaptation est si complexe que la satisfaction des exigences «pourra prendre jusqu’à deux ans», selon l’association.
Lors de la Journée de l’économie, vendredi à Zurich, Matthias Leuenberger, représentant de Novartis, avait lancé un avertissement en cas d’absence d’accord-cadre: les exportations medtech seraient plus chères et plus compliquées.
«La menace n’est pas encore formulée concrètement de la part de l’UE, comme l’était le non-renouvellement de l’équivalence boursière», nuance Basile Dacorogna, collaborateur scientifique auprès du bureau romand d’Economiesuisse. Mais si le scénario négatif se concrétise, il se traduira par des coûts supérieurs et des délais plus longs pour les entreprises, ajoute-t-il.
La branche a déjà averti ses membres qu’ils devaient inclure dans leurs considérations commerciales le scénario selon lequel il fallait satisfaire aux exigences applicables aux pays tiers. Les plus grandes sociétés (Johnson & Johnson, Roche Diagnostics, Biotronik, Sonova, Medtronic, Straumann) devraient pouvoir s’adapter, par exemple grâce à leur présence dans l’UE, et en supporter le coût. Pour
«Plus de 1000 emplois sont menacés et, peut-être plus grave, les perspectives de croissance seront sensiblement réduites»
PATRICK DÜMMLER, CHEF DE PROJET AUPRÈS D’AVENIR SUISSE
les plus petites structures et les sous-traitants, le fardeau pourrait remettre en cause leur survie, selon nos interlocuteurs. Or, 94% des fabricants sont des sociétés moyennes ou petites. Les difficultés rencontrées par les petites entreprises «pourraient accélérer le processus de concentration de la branche», juge Arthur Jurus, chef économiste auprès de Landolt & Cie.
Il ne s’agit «pas seulement de certifier les nouveaux produits, mais aussi les anciens», avertit Patrick Dümmler. De plus, il n’y a pas un seul centre chargé de fournir les autorisations, mais plusieurs. Si les produits sont également commercialisés en Suisse, il faut s’attendre à un double processus d’autorisation, craint-il.
Impact boursier
En raison du Brexit, la medtech suisse pourrait toutefois «obtenir davantage de temps que prévu pour s’adapter aux nouvelles conditions commerciales», rassure Arthur Jurus, chef économiste auprès de Landolt & Cie. Les renégociations par branches devraient en effet se prolonger durant plusieurs années. Comme les produits de la medtech suisse sont souvent leaders dans leur domaine et peu substituables, les fabricants pourraient profiter de facilités de procédure. Mais pour l’heure, c’est le pessimisme qui semble s’imposer comme scénario principal. ▅