Les jeunes désertent l’armée pour le service civil
SERVICE OBLIGATOIRE Les militaires suisses sont nombreux à rendre leur uniforme pour devenir civilistes. Pour étouffer l'hémorragie, le parlement envisage des mesures
SERVICE OBLIGATOIRE L’armée n’attire plus les jeunes. Depuis quelques années, la troupe des civilistes ne cesse de grossir. Pire, les militaires quittent de plus en plus les drapeaux avant la fin de leurs obligations pour le service civil. Pour étouffer l’hémorragie, le parlement empoigne plusieurs mesures destinées à prioriser l’armée.
Les jeunes désertent l'armée. Depuis l'abolition en 2008 de la commission chargée d'ausculter les «conflits de conscience» des réfractaires à l'uniforme, le peloton des civilistes grossit et les tenues vertes n'ont plus la cote. Pire, les militaires déjà enrôlés quittent toujours davantage les drapeaux avant la fin de leurs obligations pour devenir civilistes – et mettent en danger les effectifs de l'armée.
«Le service civil est uniquement réservé aux personnes ayant un problème de conscience» GUY PARMELIN
Pour changer la donne, le Conseil fédéral a formulé plusieurs mesures destinées à «réduire de façon substantielle le nombre d'admissions au service civil». Le Conseil des Etats se saisit du projet ce mercredi, alors que plane déjà l'ombre d'un référendum.
Un formulaire suffit
Deux à trois jours de recrutement, 124 jours d'école de recrues (ER) et six cours de répétition de 19 jours chacun. C'est le programme qui attend le soldat suisse en 2019. Beaucoup optent toutefois pour une reconversion dans le service civil, pourtant une fois et demie plus long. Pour ce faire, rien de bien sorcier: il suffit actuellement de remplir un formulaire.
Une fois que c'est approuvé, il ne reste plus aux sortants qu'à accomplir 1,5 fois le temps qu'il leur restait à effectuer dans le système militaire. Facile et rapide, la procédure connaît un succès impressionnant: au premier semestre 2019, un nouveau civiliste sur trois était un ancien militaire.
Pour endiguer cette vague de départs, le Conseil fédéral propose les réformes suivantes: instaurer 150 jours de service civil obligatoires quel que soit le temps restant à accomplir sous les drapeaux, ce qui allonge significativement le temps de service obligatoire selon son avancement au moment du changement de système, et obliger les sortants à patienter une année pour passer d'un système à l'autre – sans être libéré de l'obligation de servir dans l'intervalle.
Les déserteurs qui quitteraient l'ER dès les premiers jours pour passer dans l'autre système sont également visés par le Conseil fédéral. Alors qu'ils disposaient de trois ans pour accomplir l'obligatoire affectation longue de 180 jours, ils devraient désormais l'empoigner dans l'année suivant leur décision d'admission. Précieuse ressource militaire, les médecins seraient également empêchés d'exercer leur fonction au sein du service civil.
«Il n’y a pas de libre choix»
«Il n'y a pas de libre choix», a déjà insisté Guy Parmelin pour qui le maintien des 100000 militaires prévus par le projet de développement de l'armée a priorité incontestable. L'ancien chef des troupes devenu patron du Département fédéral de l'économie dont dépend le service civil est catégorique: «L'obligation de servir est écrite dans la Constitution. Le service civil est uniquement réservé aux personnes ayant un problème de conscience.» Le PDC, le PLR et l'UDC adhèrent à cette vision.
Ce n'est pas le cas de la gauche. Conseillère nationale verte et coprésidente de la Fédération suisse du service civil (Civiva), Lisa Mazzone accuse: «Le service civil est un apport important pour la collectivité auprès des personnes âgées, en situation de handicap, des paysans d'alpage ou encore dans le domaine de la protection de l'environnement. Il s'agit de préserver cette contribution à tout prix et de ne pas désavantager encore plus les civilistes, déjà injustement pénalisés par un temps d'engagement une fois et demie supérieur aux militaires.»
L'utilité des civilistes n'est plus à prouver, affirme la politicienne, qui rappelle que «200 établissements ont contacté la commission sénatoriale chargée du dossier pour la convaincre de renoncer à ce durcissement». Peu sceptique quant à l'issue du débat au Conseil des Etats, elle annonce déjà la couleur: «un référendum est en cours d'élaboration». Et d'espérer que les élections fédérales amèneront du sang neuf sous la Coupole pour soutenir ses idées.
«L’impression d’avoir fait le tour»
La réforme annoncée, JeanMarc* en aurait directement fait les frais. Son cas est précisément dans le viseur du Conseil fédéral: malgré un engagement militaire volontaire, cet ancien fusilier a décidé de sortir du système une fois l'école de recrues et deux cours de répétition complétés. Pourquoi? «J'avais fait l'armée pour le défi, pour me tester et pour me responsabiliser, dit-il. Devenir adulte en quelque sorte. Sous les drapeaux, j'ai découvert le côté sportif, fait de belles rencontres et éprouvé l'esprit de camaraderie.» Pas de regret d'avoir initialement pris parti pour les drapeaux, affirme le jeune homme.
Mais pas non plus d'avoir décidé de rendre son képi: «Après l'école de recrues, j'avais l'impression d'avoir fait le tour. L'expérience de vie était intéressante, mais l'ambiance des cours de répétition lors desquels même une partie des gradés semblent en semi-vacances ne m'apportait plus grand-chose. Et même en partant du principe que l'armée est effectivement nécessaire, l'utilité de ces trois semaines annuelles pour répéter les techniques apprises à l'ER ne saute pas aux yeux. La fin de mes obligations au service civil m'aura été largement plus profitable.» Sous le système défendu par le Conseil fédéral, le service obligatoire du jeune homme aurait été prolongé de deux mois. Au parlement de se prononcer. Puis très probablement au peuple.
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* Prénom d'emprunt