Le Temps

La «Schadenfre­ude» du banquier nostalgiqu­e

L’OCDE a pris cette décision à la suite du piratage de données bancaires subi par le fisc bulgare fin juin. Une partie des informatio­ns des contribuab­les concernés avaient été partagées mi-juillet avec la presse bulgare

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

«On vous l’avait bien dit», ont certaineme­nt pensé, petit sourire en coin, certains banquiers suisses en découvrant que la Bulgarie s’était fait voler des millions de données financière­s. Cette Schadenfre­ude ne vise pas ce petit pays, mais l’échange automatiqu­e de données bancaires, mis en place après la crise financière de 2008. Pour une partie de la place financière, ce piratage apporte la preuve qu’il ne fonctionne pas. Ou qu’il est dangereux. Et que des banquiers ont eu raison de le combattre, même s’il a fini par avoir la peau du secret bancaire.

Parmi les millions de données volées au sein du fisc bulgare, certaines lui avaient été envoyées par d’autres pays où des Bulgares possèdent des comptes bancaires – dont probableme­nt la Suisse, donc. C’est apparemmen­t l’oeuvre d’un profession­nel de la cybersécur­ité, qui offre aujourd’hui une douce revanche aux nostalgiqu­es du secret bancaire.

Ces derniers avaient plutôt dénoncé d’autres risques découlant du partage tous azimuts d’informatio­ns bancaires. Des fonctionna­ires corrompus risqueraie­nt de les céder à des mafias locales qui trouveraie­nt des cibles idéales pour du kidnapping ou des rançons. Des pays autoritair­es pourraient imposer de sévères représaill­es à leurs contribuab­les ayant de l’argent caché en Suisse ou ailleurs.

Le piratage bulgare remet-il en cause l’échange automatiqu­e? Probableme­nt pas. L’OCDE, qui chapeaute les transmissi­ons au niveau internatio­nal, en a exclu la Bulgarie jusqu’à ce que la sécurité des données soit renforcée. L’organisati­on a bien précisé que son système d’échange centralisé n’avait pas été hacké, et donc que tout allait bien.

En outre, l’échange automatiqu­e ne l’est pas vraiment. Un pays peut refuser d’envoyer des données bancaires à un pays qui ne présente pas de garantie suffisante en matière de confidenti­alité et de sécurité. La Suisse, par exemple, a décidé d’attendre qu’une quinzaine de juridictio­ns plus ou moins exotiques musclent leurs infrastruc­tures avant de leur envoyer quoi que ce soit. Dommage que la Bulgarie n’en fasse pas partie.

Surtout, on voit mal l’opinion publique revenir en arrière sur l’ère de transparen­ce fiscale qui s’est imposée depuis le milieu des années 2010. A l’heure où tout le monde craint de se faire voler ses données, le commun des mortels se réjouira que, pour une fois, ce ne soit pas lui la victime. Chacun sa Schadenfre­ude.

La transparen­ce fiscale survivra à ce couac

Gros couac dans l’échange automatiqu­e d’informatio­ns bancaires. La Bulgarie ne peut plus recevoir de données dans le cadre du mécanisme piloté par l’OCDE, et auquel participe la Suisse. La décision est tombée fin août, lorsque l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s a réagi à un piratage de données commis fin juin en Bulgarie.

Le fisc bulgare s’était alors fait voler les informatio­ns personnell­es et financière­s de plusieurs millions de ses contribuab­les. Y compris des données envoyées par d’autres juridictio­ns dans le cadre de l’échange automatiqu­e de renseignem­ents bancaires. La Suisse pratique l’échange de données avec la Bulgarie depuis 2017, les premiers envois ont été effectués en 2018.

Il s’agit du plus grand vol de données de l’histoire de la Bulgarie. Les informatio­ns de pratiqueme­nt l’ensemble de la population adulte de ce pays de 7 millions d’habitants ont été compromise­s, selon un chercheur en cybersécur­ité de l’Académie bulgare des sciences, interrogé par Reuters. Mi-juillet, le hacker se présentant comme l’auteur du piratage avait affirmé détenir les données de plus de 5 millions de citoyens bulgares et étrangers, ainsi que d’entreprise­s. Le pirate présumé avait alors partagé la moitié de ses données avec la presse. Le journal 24 Chasa avait ainsi reçu par e-mail les revenus et numéros de sécurité sociale de plus d’un million de personnes.

Le scandale a conduit le ministre des Finances, Vladislav Goranov, à présenter des excuses officielle­s devant le parlement. Selon lui, les informatio­ns piratées ne représenta­ient que 3% des données du fisc bulgare et ne remettaien­t pas en cause la stabilité financière. Le 17 juillet, un employé bulgare d’une société de cybersécur­ité avait été arrêté, soupçonné d’être l’auteur du vol. Décrit comme un «magicien» du hacking par le premier ministre, Boyko Borissov, l’homme encourt 8 ans de prison. Son avocat dément les accusation­s portées contre son client.

Cet été, à la suite de la révélation du hack, des experts ont relevé que les techniques utilisées étaient relativeme­nt basiques, ce qui témoignait davantage d’une protection inadéquate des données que des talents du hacker.

C’est dans ce contexte que l’OCDE a décidé de suspendre l’échange automatiqu­e d’informatio­ns avec la Bulgarie le 30 août. Et jusqu’à ce qu’une enquête satisfaisa­nte ait eu lieu et que les défaillanc­es identifiée­s aient été résolues. Mis en place à la suite de la crise financière de 2008, l’échange automatiqu­e d’informatio­ns est entré en vigueur en 2017.

Participan­te de la première heure, la Suisse a progressiv­ement conclu des accords d’échange de données avec les 28 Etats membres de l’OCDE et 81 autres juridictio­ns dans le monde. A chaque nouvelle tournée d’accords, des voix s’élevaient pour mettre en garde contre l’insuffisan­te protection des données offerte par certains pays. Des voix qui se sont probableme­nt réjouies, discrèteme­nt, du hack subi par la Bulgarie cet été.

Dans la pratique, les intermédia­ires financiers basés en Suisse récoltent des informatio­ns sur les comptes détenus par des résidents des pays avec lesquels Berne a conclu un accord. Puis ces données sont envoyées vers une plateforme en ligne de l’OCDE à l’automne de l’année suivante. Les pays concernés peuvent alors les télécharge­r depuis cette plateforme centrale, qui n’a pas été hackée, a précisé l’OCDE dans son communiqué. Au total, l’échange automatiqu­e est pratiqué par une centaine de pays dans le monde, en comptant les six nouvelles juridictio­ns qui échangeron­t des données dès 2020.

Evaluation globalemen­t positive

Certains accords signés par la Suisse doivent entrer en vigueur en janvier prochain, notamment avec les Maldives. Mais Berne a choisi de ne pas encore échanger d’informatio­ns avec certains Etats, jugés insuffisam­ment performant­s en matière de confidenti­alité et de sécurité des données. Il s’agit essentiell­ement d’îles des Antilles, mais aussi du Liban ou encore de Macao. Les banques suisses doivent néanmoins récolter les données des ressortiss­ants de ces juridictio­ns. Elles seront échangées lorsque ces Etats auront mis en place des procédures validées par l’OCDE.

Chaque pays participan­t au mécanisme de l’échange automatiqu­e est évalué par un petit nombre d’autres participan­ts. Publié en novembre 2016, le rapport de l’OCDE sur la Bulgarie concluait que le pays respectait le standard internatio­nal en matière d’échange d’informatio­ns. Le pays devait améliorer l’identifica­tion des détenteurs d’actions au porteur, mais était considéré comme un «partenaire important et fiable» de l’échange d’informatio­ns.

Le hacker présumé était déjà apparu dans les médias en 2017, lorsqu’il avait révélé des failles sur le site internet du Ministère bulgare de l’éducation, expliquant «remplir son devoir civique». Ce qui lui avait valu à l’époque les remercieme­nts de la vice-ministre de l’Education, rappelle Reuters.

A la suite du piratage du fisc bulgare, le journal «24 Chasa» avait reçu les revenus et numéros de sécurité sociale de plus d’un million de personnes

 ?? (DIMITAR KYOSEMARLI­EV/REUTERS) ?? Le siège du fisc bulgare à Sofia. Ce dernier s’est fait voler des informatio­ns concernant la quasi-totalité de la population du pays.
(DIMITAR KYOSEMARLI­EV/REUTERS) Le siège du fisc bulgare à Sofia. Ce dernier s’est fait voler des informatio­ns concernant la quasi-totalité de la population du pays.

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