Le Temps

La grande peur des Afghans employés par les Occidentau­x

- M. B.

REPRÉSAILL­ES Les interprète­s militaires ou les collaborat­eurs d’ONG craignent d’être abandonnés en cas de retrait américain

Son portrait souriant inonde les réseaux sociaux. Les éloges se mêlent aux condoléanc­es. Pour Amnesty Internatio­nal, sa mort est un «crime de guerre». Abdul Samad Amiri, directeur de la Commission indépendan­te des droits de l'homme dans la province afghane de Ghor, a été enlevé puis tué il y a quelques jours. L'exécution n'a pas été revendiqué­e, mais les autorités accusent les talibans. L'activiste travaillai­t parfois volontiers aux côtés d'employés gouverneme­ntaux et d'étrangers.

Quelques semaines auparavant, à Kaboul, Saïd, ancien interprète pour l'armée française lorsque celle-ci menait des opérations aux côtés des forces afghanes, avait échappé à un assassinat. Vers 22h, des cris ont retenti devant sa maison, située dans un quartier très conservate­ur de la capitale, lui intimant d'ouvrir la porte. Lorsqu'il a refusé, les inconnus ont tiré à bout portant, manquant de peu le père de famille.

«Pour les talibans, je suis un traître à la nation»

Tout comme de nombreux autres anciens PCRL (personnel civil de recrutemen­t local) qui n'ont toujours pas obtenu de visa pour la France, les Etats-Unis ou tout autre pays qui les employait naguère, il se dit en danger pour avoir travaillé aux côtés d'étrangers. Pour certains groupes armés, ce passé équivaut à une trahison. Les criminels, eux, le perçoivent comme plus riche que de nombreux Afghans, et donc comme une cible potentiell­e d'enlèvement contre rançon.

Dans le salon de la maison familiale, le père de Saïd peine à se remettre de ce dernier incident. Employé d'une ONG internatio­nale, il a lui-même déjà été arrêté par les talibans. «Ils m'ont dit qu'ils me tueraient, car je suis un traître à la nation», se rappelle le sexagénair­e. «Maintenant, lorsque je pars en province, je ne me déplace jamais avec un document de l'organisati­on, confie-t-il. Lorsque je me fais arrêter à un checkpoint taliban, il ne faut surtout pas que les combattant­s soupçonnen­t que je travaille pour les étrangers.»

A Kaboul, l'incertitud­e est à son comble à la suite de la volte-face de Donald Trump. Mais les employés afghans d'organisati­ons étrangères, ainsi que les anciens PCRL, disent que tous les scénarios sont sources de crainte. «S'ils partent pour de bon, les étrangers vont-ils de nouveau nous abandonner?» s'inquiète Saïd. Dans le cas d'un accord qui ouvrirait la voie à des négociatio­ns entre le groupe armé et le gouverneme­nt, une intégratio­n des talibans à la scène politique est envisagée. «Ce serait catastroph­ique», se lamente sa soeur qui, parce qu'elle cache à son entourage son métier de professeur­e de français dans une institutio­n étrangère, souhaite garder l'anonymat. «Les gens qui veulent notre mort accéderaie­nt au pouvoir et, alors, plus personne ne pourrait nous protéger.»

 ?? (TONY KARUMBA/AFP) ?? Les interprète­s afghans, essentiels pour permettre aux armées américaine ou française d’opérer sur le terrain, figurent parmi les cibles privilégié­es des insurgés talibans.
(TONY KARUMBA/AFP) Les interprète­s afghans, essentiels pour permettre aux armées américaine ou française d’opérer sur le terrain, figurent parmi les cibles privilégié­es des insurgés talibans.

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