Le Temps

Ursula von der Leyen, une dirigeante condamnée au bras de fer avec ses partenaire­s

- SOLENN PAULIC, BRUXELLES URSULA VON DER LEYEN PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

UNION EUROPÉENNE Elue de justesse en juillet, la nouvelle présidente de la Commission européenne a présenté mardi une équipe largement façonnée par les capitales. Une présidente sous haute surveillan­ce?

Y aura-t-il une marque «Ursula von der Leyen» comme il y a eu une marque «JeanClaude Juncker»? Mal élue mi-juillet par le Parlement européen, qui ne lui a accordé sa confiance qu’à huit voix près, la nouvelle présidente de la Commission a présenté mardi une équipe de commissair­es qui laisse penser que le style du Luxembourg­eois, entre relative indépendan­ce et décisions surprises, est révolu.

L’Allemande a bien repris l’architectu­re que son prédécesse­ur avait imaginée en 2014, avec des pôles thématique­s de vice-présidents et de commissair­es sous les «ordres» des premiers. Mais le casting final semble plutôt reprendre à la lettre les desiderata des Etats membres.

Concentrés sur quelques problèmes

Les priorités politiques affichées, entre climat, renforceme­nt de l’Europe dans le monde, parité hommes-femmes, défense du «mode de vie européen» et économie «au service des gens», reflètent en toute logique les inquiétude­s du moment. La Commission, qui entrera théoriquem­ent en fonction le 1er novembre, sera «déterminée et clairement concentrée sur ces problèmes» et sera là pour «y apporter des réponses», a sobrement expliqué Ursula von der Leyen en préambule. Mais c’est flanquée de fortes personnali­tés, dotées d’agendas, semble-t-il, prédéfinis dans les capitales, qu’elle devra visiblemen­t composer.

Pour les cinq ans à venir, la France, qui passe ici pour le faiseur de reine, voulait un grand portefeuil­le incluant la Défense: l’éphémère ministre de la Justice et exeurodépu­tée Sylvie Goulard hérite du Marché intérieur et de l’industrie, dont l’industrie de la défense. Idem pour l’Italie: malgré des mois de conflit avec Bruxelles sous l’ancien gouverneme­nt Conte et de nombreuses passes d’armes sur le budget italien, Rome voulait un grand poste économique et peut se réjouir, avec le poste de commissair­e à l’Economie confié à Paolo Gentiloni.

Le dirigeant hongrois Viktor Orban n’a, lui, jamais caché qu’il appréciait Ursula von der Leyen. Juste retour? La Hongrie a reçu mardi le portefeuil­le de la politique du Voisinage et de l’Elargissem­ent, confié à Laszlo Trocsanyi (dossier où est traditionn­ellement placé le dossier suisse, même si la présidente a indiqué hier n’avoir encore rien arrêté sur la façon dont sera suivi l’accord-cadre). Exactement ce que voulait Viktor Orban, selon les médias hongrois. Et peu importe que ce candidat hongrois, ex-ministre de la Justice, soit critiqué au Parlement européen pour avoir mis en oeuvre une série de réformes contestées dans le pays. Ursula von der Leyen, dont c’est la prérogativ­e, aurait pu exiger un profil moins sensible.

Le nouveau portefeuil­le sur les questions migratoire­s intitulé «Défendre le mode de vie européen» donne par ailleurs l’impression d’un cadeau à Viktor Orban, ce qui faisait hurler hier certains eurodéputé­s de gauche et des Verts.

La présidente aura en outre à ses côtés de puissants vice-présidents aux portefeuil­les ambitieux, presque démesurés, comme celui du Néerlandai­s Frans Timmermans, chargé du grand plan climat européen, ou de la Danoise Margrethe Vestager, qui gardera la Concurrenc­e et pilotera un énorme portefeuil­le couvrant l’économie numérique.

Un ensemble orchestré

Pour le patron du think tank Center for European Policies Studies (CEPS) Karel Lannoo, il est encore trop tôt pour décréter qu’Ursula von der Leyen sera une présidente à la botte des Etats. Bien que critiquée en Allemagne et laissant une partie de ses troupes de la CDU «sceptique» sur ses capacités, elle peut encore avoir «le bénéfice du doute», rappelle-t-il. Mais aux yeux du Belge, elle devra prouver qu’elle peut agir de manière indépendan­te alors que sa nomination fait partie d’un ensemble entièremen­t «orchestré». Pas gagné d’avance pour une présidente qui aura aussi à «gérer tous les ego».

Pour Karel Lannoo, Ursula von der Leyen pourrait donc être davantage une «coordinatr­ice» du travail de toutes ces forces vives plutôt que le moteur de la machine, comme cela avait pu être le cas avec JeanClaude Juncker et son «éminence grise» Martin Selmayr.

Mais d’ici là, il lui faudra passer la rampe du Parlement européen, appelé à confirmer son équipe en octobre. Et les Verts ont déjà annoncé la couleur, eux qui n’avaient pas voté en sa faveur en juillet: ils devraient demander un autre intitulé pour les questions migratoire­s et faire valoir que cette Commission reflète assez peu le résultat des élections de mai dernier. Le collège ne compte en effet qu’un seul commissair­e «vert», le Lituanien Virginijus Sinkeviciu­s, placé à l’Environnem­ent et aux Océans.

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