Guerre des mots entre l’Inde et le Pakistan sur le Cachemire
DIPLOMATIE A Genève, le ministre pakistanais des Affaires étrangères a tenu des propos incendiaires au sujet de l’Inde et de la révocation du statut d’autonomie constitutionnelle du Cachemire indien
La situation entre le Pakistan et l’Inde était déjà très volatile. Elle est désormais explosive, du moins en paroles. Les deux puissances nucléaires se sont affrontées verbalement mardi au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève. Objet de la dispute: le Cachemire, une région divisée entre l’Inde et le Pakistan depuis 1947.
Devant le Conseil des droits de l’homme, le ministre pakistanais des Affaires étrangères, Shah Mehmood Qureshi, a tenu des propos incendiaires à propos de l’attitude de New Delhi. Parlant de l’Etat du Jammu-et-Cachemire, il a déclaré: «Plus de 8 millions de Cachemiris, déjà soumis à l’oppression indienne depuis des décennies, ont été littéralement mis en cage par une occupation militaire illégale qui est passée de 700000 à près de 1 million de soldats en quelques jours. […] L’Inde a transformé ce territoire en la plus grande prison de la planète.»
L’exemple chinois du Xinjiang
Le 5 août dernier, le gouvernement indien de Narendra Modi a révoqué l’autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire. Un dessein que le Bharatiya Janata Party, le parti du premier ministre indien, mentionne dans ses programmes électoraux depuis des décennies. Fort de son succès majeur lors des législatives de ce printemps et de la faiblesse de l’opposition, Narendra Modi a jugé opportun de passer à l’action et d’abolir l’article 370 de la Constitution indienne, qui garantissait un statut d’autonomie au Jammu-et-Cachemire.
A cette mesure gouvernementale s’ajoute l’abolition de l’article 35 A de la Constitution, qui interdisait aux Indiens non musulmans d’acheter des terres dans cet Etat himalayen ou de devenir fonctionnaires. Les Cachemiris craignent aujourd’hui que New Delhi procède de la même façon que Pékin a agi au cours des deux dernières décennies en cherchant à peupler la région du Xinjiang de Hans (Chinois ethniques) pour marginaliser les Ouïgours.
Le chef de la diplomatie pakistanaise a multiplié les références historiques: «Les villes, les montagnes, les plaines et vallées abandonnées traumatisées dans le Jammu-et-Cachemire rappellent le Rwanda, Srebrenica, les Rohingyas et le pogrom de Gujarat», l’Etat indien dont Narendra Modi fut naguère le ministre en chef. Shah Mehmood Qureshi a dit trembler à l’idée de parler de génocide. «Mais je dois le faire.» Face à un «régime meurtrier, misogyne et xénophobe», il estime que la situation au Jammu-et-Cachemire remplit déjà les dix conditions constitutives d’un processus de génocide, à en croire une organisation américaine. Cherchant à secouer les délégations européennes, il a lâché qu’il fallait agir pour éviter «le bilan désastreux de l’appeasement [apaisement] qui a mené à la catastrophe en Europe».
«L’Inde a transformé ce territoire en la plus grande prison de la planète»
SHAH MEHMOOD QURESHI,
MINISTRE PAKISTANAIS DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Il en appelle au Conseil de sécurité de l’ONU, rappelant les grands dangers que représente la rivalité nucléaire en Asie du Sud entre l’Inde et le Pakistan. Il appelle aussi le Conseil des droits de l’homme, «le dépositaire de la conscience mondiale en matière de droits humains», à agir au plus vite et exhorte à la création d’une commission d’enquête internationale.
Riposte indienne
La diplomate de haut rang Vijay Thakur Singh a apporté la riposte de New Delhi. Elle a sèchement coupé court aux accusations d’Islamabad, estimant que le pouvoir pakistanais a «proféré de fausses accusations». «Le monde est conscient du fait que ce narratif inventé vient de l’épicentre du terrorisme international», pointant clairement du doigt le voisin pakistanais. «Ce pays pratique le terrorisme transfrontalier comme une forme de diplomatie alternative.» Vijay Thakur Singh a mis en avant les «législations progressistes» qui viennent d’être adoptées en Inde et qui seront appliquées dans le Cachemire désormais divisé en deux entités, le Ladakh et le Cachemire himalayen. «Elles permettront de mettre fin à la discrimination de genre, à mieux protéger les droits des mineurs.» La diplomate insiste. Les mesures prises au sujet du Cachemire relèvent de la seule souveraineté indienne. «Aucun pays ne peut accepter une interférence dans ses affaires intérieures», a-t-elle averti.
Sur place, un climat délétère
Aujourd’hui, le climat au Cachemire indien est délétère. Le week-end dernier, plus de 5000 manifestants ont protesté contre la révocation de l’autonomie du Jammu-et-Cachemire. Le couvre-feu demeure la règle dans une bonne partie de l’Etat. Lundi, la haut-commissaire aux droits de l’homme Michelle Bachelet a appelé l’Inde à «alléger les restrictions ou le couvre-feu et à assurer un accès aux services de base».
A l’occasion de fêtes religieuses chiites, le dispositif sécuritaire indien a été renforcé. Symbole de solidarité musulmane, mardi, à l’occasion de la procession de l’Achoura, la principale commémoration religieuse chiite, des sunnites ont voulu également défiler.
La crise du Cachemire suscite des soutiens géopolitiques particuliers. A New York, Pékin s’est appliqué à soutenir le Pakistan alors que Moscou se rangeait du côté de New Delhi. Quant à Donald Trump, qui avait proposé sa médiation au premier ministre pakistanais Imran Khan, il a déclaré ne pas vouloir s’impliquer, expliquant en marge du sommet du G7 que le premier ministre Modi avait la situation «sous contrôle». Une telle médiation tombait d’ailleurs comme un cheveu sur la soupe. Pour rappel, en 1972, Zulfikar Ali Bhutto et Indira Gandhi avaient conclu l’accord de Simla précisant que la question du Cachemire ne serait réglée que de façon bilatérale. Mais elle est aujourd’hui incandescente. Imran Khan l’a martelé: le Pakistan répondra aux mesures de New Delhi de la façon la plus complète possible pour éviter le risque de «génocide». Il l’a aussi lâché: Islamabad ne procédera jamais en premier à une frappe nucléaire.
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