Le Temps

Moutier: le dilemme des autonomist­es

Soirée décisive ce jeudi. Les militants pro-jurassiens décideront s’ils font recours au Tribunal fédéral contre l’annulation du scrutin historique du 18 juin 2017 ou s’ils s’engagent pour la tenue rapide d’un nouveau vote

- YAN PAUCHARD @yanpauchar­d

Recourir ou revoter? C’est le dilemme qui divise le mouvement autonomist­e après la décision du Tribunal administra­tif bernois du 29 août dernier confirmant l’annulation du vote de Moutier sur le transfert de la ville dans le canton du Jura. Les militants séparatist­es de la cité prévôtoise se rassembler­ont ce jeudi soir, à la Sociét’halle, pour décider s’ils poursuiven­t la voie juridique en portant l’affaire devant le Tribunal fédéral (TF) ou s’ils privilégie­nt la voie politique en s’engageant pour l’organisati­on rapide d’un nouveau vote.

«La justice bernoise a traité la votation de Moutier comme s’il s’agissait d’une modificati­on d’un plan de quartier»

VALENTIN ZUBER, PORTE-PAROLE DE MOUTIER VILLE JURASSIENN­E

«L’issue de ces assises demeure très incertaine, prédit le maire, Marcel Winistoerf­er. Chaque option représente une chance, mais comporte aussi une part de risque.» Le choix est d’autant plus difficile à faire qu’il va déterminer la suite du combat autonomist­e, et par là l’avenir de cette ville de 7500 habitants déchirée depuis des décennies entre deux cantons. «Pour nous, il est inconcevab­le qu’une telle décision soit prise dans un bureau par une poignée de membres d’un comité, elle appartient à l’ensemble des militants», relève Laurent Coste, le directeur de campagne de Moutier ville jurassienn­e.

Concrèteme­nt, l’assemblée de jeudi est ouverte à tous les Prévôtois sympathisa­nts du rattacheme­nt de leur ville au Jura; un triage sera effectué à l’entrée de la salle. Les enjeux tant politiques que juridiques seront expliqués aux participan­ts, notamment par un juriste. La soirée se terminera par un vote. Consultati­f, il sera néanmoins déterminan­t dans la décision finale.

De forts soupçons de domiciliat­ions fictives

Pour rappel, Moutier est dans l’impasse. L’euphorie du vote «historique» de 2017, lorsque la population a accepté à 51,72% (137 voix d’écart) de rejoindre le Jura, est rapidement retombée. A la suite de différents recours, le scrutin est annulé fin 2018 par la préfète du Jura bernois, qui dénonce certains dysfonctio­nnements. Elle pointe du doigt le militantis­me du maire autonomist­e, Marcel Winistoerf­er, et les forts soupçons de domiciliat­ions fictives, entre autres. Une annulation confirmée fin août par la justice bernoise. Une décision au goût amer pour les autonomist­es, qui n’ont depuis cessé de dénoncer un verdict orienté.

Aujourd’hui, tout est ouvert dans un dossier d’une complexité inouïe. Certains autonomist­es brûlent de recourir au TF, espérant qu’une instance fédérale, non bernoise, leur donnera enfin raison. Et même si la jurisprude­nce est actuelleme­nt plutôt stricte, ils veulent croire dans la marge d’appréciati­on politique dont peuvent faire preuve les juges de Mon-Repos. Au contraire, d’autres craignent qu’un tel recours ne fasse que prolonger l’incertitud­e juridique entourant le cas de Moutier, sans aucune garantie de victoire. Ils préfèrent militer pour la tenue d’un second scrutin, où ils pensent pouvoir l’emporter de nouveau. «Si on rejoue le match, on le gagnera», assure Laurent Coste.

«Il faudrait pouvoir organiser ce nouveau vote rapidement, en juin 2020 dans l’idéal, mais nous n’avons aucune garantie que ce sera possible, tempère Marcel Winistoerf­er. Et s’il fallait attendre deux ou trois ans pour repasser aux urnes, ce serait catastroph­ique.» Les autonomist­es sont tiraillés comme rarement. Valentin Zuber, porte-parole de Moutier ville jurassienn­e et l’une des figures du mouvement, se déclare ainsi «très incertain» et a «encore besoin de temps pour la réflexion». Ce dernier aimerait replacer le débat dans son contexte: «Jusqu’ici, la justice bernoise a traité la votation de Moutier comme s’il s’agissait d’une simple modificati­on d’un plan de quartier, faisant fi de la charge émotionnel­le, de l’histoire et des enjeux politiques.»

Personne n’a oubllié les affronteme­nts de 1975

Car personne n’a oublié la nuit d’affronteme­nts, en septembre 1975, où les militants autonomist­es ont chargé à coups de cocktails Molotov les chars Mowag des grenadiers bernois. La violence des «émeutes de Moutier» demeure comme le symbole de ces «années de braise» de la Question jurassienn­e. Une question que les cantons du Jura et de Berne ont promis de clore une fois le cas de Moutier réglé…

Mais du côté des pro-bernois, on appelle dorénavant à «tirer la prise» et on prône le statu quo. «La ville a assez souffert, c’est un carnage», souligne avec force Morena Pozner, la porte-parole du comité anti-séparatist­e Moutier-Prévôté. Egalement présidente du Conseil du Jura bernois, la socialiste observe la tenue des assises du mouvement autonomist­e avec «détachemen­t»: «Personnell­ement, j’aimerais que les autonomist­es recourent au TF. Peut-être qu’une instance non-bernoise pourra enfin leur ouvrir les yeux sur leurs tricheries.»

Reste que, dans les deux cas de figure, le camp anti-séparatist­e, requinqué par la décision de justice d’août dernier, entend s’opposer à la tenue d’un second scrutin. «Les pro-jurassiens ont eu leur chance avec la votation du 18 juin 2017, ils ont loupé le coche en fraudant, aujourd’hui, ça suffit!» tranche enfin Morena Pozner.

 ?? (JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) ?? Des autonomist­es promènent un cercueil symbolisan­t la démocratie dans les rues de Moutier, au lendemain de l’annulation du vote.
(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) Des autonomist­es promènent un cercueil symbolisan­t la démocratie dans les rues de Moutier, au lendemain de l’annulation du vote.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland