Le Temps

«Renaud Gautier a agi de manière organisée et consciente»

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Le procureur Yves Bertossa estime que les détourneme­nts commis par le notable genevois sont graves et méritent une peine ferme. Pour la défense, envoyer cet homme fracassé en prison n’aurait aucun sens

«On juge ici les agissement­s d’un gestionnai­re de fortune médiocre pour qui les affaires péricliten­t et qui vit grâce à l’argent de ses clients. En fait, ce dossier est d’une banalité confondant­e. Renaud Gautier a prélevé environ 4 millions de francs par pur appât du gain et pour payer ses factures.» Au deuxième jour du procès de l’ancien président du Grand Conseil genevois, le procureur Yves Bertossa, sévère à l’égard des actes commis, s’est montré plus hésitant au moment de réclamer une peine contre «cette personnali­té complexe» qui a aussi beaucoup donné à la République.

Estimant qu’une telle dérive criminelle, commise en état de responsabi­lité légèrement restreinte, mérite 4 ans de prison, le Ministère public précise toutefois qu’il ne s’opposera pas à une peine de 3 ans, dont 1 an ferme, qui pourra être exécutée de manière plus souple. «Trouver le juste équilibre est très difficile», ajoute le procureur en faisant référence à tout le contexte qui entoure ce dossier.

L’ami mystère

Il n’est jamais aussi redoutable que quand il commence son interventi­on gentiment. Yves Bertossa ne doute pas de l’état de délabremen­t avancé dans lequel se trouvait Renaud Gautier, découvert par un ami chez lui, une arme à la main, au moment d’être hospitalis­é. Il ne remet pas non plus en cause tout ce que le prévenu a fait pour Genève en sa qualité de libéral éclairé, de député et de président du Grand Conseil. «Cela ne vous sera pas enlevé, quoi qu’il arrive.»

La suite est beaucoup moins aimable. Le procureur relativise l’auto-dénonciati­on, critique cette tendance à la victimisat­ion de l’auteur et doute de la sincérité de ses explicatio­ns. Quant à la volonté de réparer, il constate que c’est toujours le fameux ami mystère qui s’est chargé des remboursem­ents.

Le train de vie

Le «gros morceau» de l’acte d’accusation, ce sont ces quelque 3,3 millions puisés «de manière organisée et consciente» par Renaud Gautier sur les comptes de sa tante en l’espace d’une décennie. Une nonagénair­e malvoyante dont le prévenu lui-même a dit, plus tôt dans la matinée, qu’elle était comme une mère de substituti­on, celle qui comprenait le mieux son désarroi et qui l’avait beaucoup entouré après le décès de sa fille.

Grâce à la fortune de cette parente, poursuit le parquet, Renaud Gautier s’est assuré un gain supplément­aire d’environ 370000 francs par an pour payer, notamment, un loyer de 8000 francs, l’école privée des enfants, les voyages, et pour se montrer généreux avec ses amis. Point besoin de chercher une autre raison dans les tréfonds de l’âme ou le parcours cabossé de l’intéressé. «Au tribunal, on juge les turpitudes et non pas les qualités ou les démons

Les prélèvemen­ts sur les comptes de la Fondation pour l’agrandisse­ment du MAH passent très mal

des prévenus», a ajouté Yves Bertossa.

La trahison

Côté turpitude, le procureur estime que d’avoir trahi une vieille dame qui l’a soutenu dans des épreuves terribles «n’est pas très classe». Pas plus que de vider le coffre où un père a laissé de l’argent pour son fils mal en point. Les prélèvemen­ts sur les comptes de la Fondation pour l’agrandisse­ment du MAH passent aussi très mal, car c’est le volet qui se rapproche le plus de l’action publique de Renaud Gautier et donc de la confiance accrue placée en lui.

Quant au chanteur Bernard Lavilliers, lui aussi détroussé, «il critique publiqueme­nt les financiers et va aux Fêtes de l’Humanité alors qu’il dispose d’une fortune colossale et place de l’argent en Suisse». Le procureur ne pleurera donc pas sur son sort.

Sans surprise, Me Robert Assaël, au nom des cousins dépossédés de l’héritage de leur mère et lésés par la gestion trop hasardeuse du prévenu, dresse un portrait au vitriol de «ce félon qui jouait un double jeu». La partie plaignante ne croit pas une seule seconde que Renaud Gautier était dépassé par la situation et comme plongé dans un brouillard, alors qu’au même moment il se montrait un politicien caustique et brillant. «L’expert psychiatre s’est trompé de dossier», soutient l’avocat en plaidant pour une responsabi­lité pleine et entière.

Le sursis

Rien ne serait plus éloigné de la réalité, rétorquera Me Malek Adjadj. Le défenseur, accompagné de Me Alexis Rochat, rappelle la lente déchéance d’un homme détruit de l’intérieur et dont l’instabilit­é s’aggrave encore avec la crise financière. Il détaille la lettre d’auto-dénonciati­on de novembre 2014, où Renaud Gautier évoque les personnes potentiell­ement concernées par ses «grosses conneries», et décrit l’état de son client à cette époque. «Il me disait qu’il avait du yogourt dans la tête. Son bureau était à l’image de cette décadence.»

Aux yeux de la défense, qui plaide l’acquitteme­nt ou l’exemption de peine sur certains points, la sanction ne devrait pas dépasser 18 mois de prison avec sursis. Envoyer Renaud Gautier, 67 ans, derrière les barreaux alors qu’il essaie de se reconstrui­re «n’aurait pas de sens». La réponse des juges viendra ce jeudi.

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