Le Temps

L’entretien de la forêt doit être davantage soutenu par l’Etat

- A lire: NICOLAS BORZYKOWSK­I DOCTEUR EN ÉCONOMIE, HAUTE ÉCOLE DE GESTION DE GENÈVE ANDREA BARANZINI PROFESSEUR D'ÉCONOMIE, HAUTE ÉCOLE DE GESTION DE GENÈVE DAVID MARADAN DIRECTEUR, ECOSYS

Les forêts suisses sont menacées par les changement­s climatique­s: sécheresse­s, canicules et parasites mettent en péril leur survie. Comme rapporté par Le Temps du 8 juillet, l’état de «catastroph­e forestière» a récemment été décrété par le canton du Jura, où l’on estime que près de 100000 m3 de bois sont en passe de dépérir. Si ces chiffres se confirment, cela représente­ra la plus grande catastroph­e touchant les forêts suisses, plus destructri­ce que l’ouragan Lothar en 1999. Si la disparitio­n des forêts est une des conséquenc­es des changement­s climatique­s, elle en est également une cause au niveau global. Les forêts jouent en effet un rôle de puits de carbone, en capturant le CO2 présent dans l’atmosphère et en le stockant sous forme de biomasse. La destructio­n de surfaces forestière­s est ainsi la troisième cause d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde, après l’approvisio­nnement énergétiqu­e et l’industrie, une situation qui ne semble pas s’améliorer d’après les chiffres récents sur la déforestat­ion au Brésil (Le Temps du 7 août 2019) et les incendies ravageurs en cours. Le problème de la déforestat­ion est d’ailleurs un des points soulevés dans le dernier rapport du GIEC, publié le 8 août.

Dès lors, un nouveau plan d’action pour les forêts au niveau mondial est nécessaire. Une étude récente de l’équipe du Prof. Thomas Crowther de l’EPFZ a estimé qu’une reforestat­ion mondiale massive pourrait réduire considérab­lement la concentrat­ion en CO2 dans l’atmosphère. En Suisse, le potentiel de boisement est limité par la densité importante de population et les surfaces en altitude. Toutefois, la surface forestière et le volume de bois sur pied croissent depuis plusieurs décennies. Cette situation, d’apparence positive, révèle une réalité plus sombre. En effet, l’exploitati­on du bois étant peu rentable en Suisse, les arbres vieillisse­nt, ce qui ralentit le renouvelle­ment et affaiblit la capacité de résilience des forêts suisses, cruciale dans un contexte de changement­s climatique­s rapides. Sans interventi­on de l’Etat, le bois suisse ne serait pratiqueme­nt pas exploité. En effet, le coût élevé de la main-d’oeuvre et les restrictio­ns légales et topographi­ques ne lui permettent pas d’être compétitif par rapport à ses concurrent­s étrangers. Aujourd’hui encore, alors même qu’une bonne partie des déficits est compensée par les deniers publics, le potentiel d’exploitati­on est loin d’être atteint.

Une étude financée par le Programme national de recherche 66 «Ressource bois», menée par les équipes du Prof. Baranzini de la Haute Ecole de gestion de Genève et du Prof. Milad Zarin-Nejadan de l’Université de Neuchâtel, a montré qu’une exploitati­on accrue du bois suisse permettrai­t, outre la production d’un matériau durable, d’améliorer la capacité des forêts à remplir leurs multiples fonctions, sans diminuer sa surface. En effet, l’étude révèle que la population suisse attache une grande importance aux services non marchands de la forêt. Cependant, comme ces services n’ont pas de prix, ils ne peuvent pas être intégrés dans les décisions des propriétai­res forestiers. Dans le contexte suisse actuel, l’exploitati­on du bois engendre en effet ce qu’on appelle des bénéfices externes. Ces bénéfices se matérialis­ent par la provision de services écosystémi­ques, comme l’habitat pour la biodiversi­té et la possibilit­é de pratiquer des activités de loisirs en forêt, et sont donc aujourd’hui fournis en quantité insuffisan­te.

Si ces services n’ont pas de prix, leur valeur pour la population n’en est pas moins importante. Dans sa thèse de doctorat en économie, Nicolas Borzykowsk­i a estimé ces valeurs en termes monétaires, ce qui permet de les intégrer dans les prises de décision. La population suisse attribue ainsi une valeur équivalent­e à 1800 francs par an et par ménage pour les loisirs dans les forêts de plaine (soit plus de 6 milliards de francs au total) et serait prête à payer environ 500 francs par an et par ménage pour agrandir les réserves forestière­s et ainsi favoriser la biodiversi­té.

Les pouvoirs publics prennent conscience de l’importance des services écosystémi­ques des forêts et des importants bénéfices qui en découlent pour la population. Le projet «NosArbres» en ville de Genève a permis de définir la nouvelle politique de la ville en matière de boisement. Comme ils représente­nt un bien public, les arbres en ville font, à raison, l’objet d’un financemen­t public. De la même manière, l’entretien de la forêt suisse doit être davantage soutenu par les entités publiques, ce qui permettrai­t d’accroître la production durable de bois suisse, tout en assurant les autres fonctions de la forêt, en limitant les risques liés au changement climatique et en améliorant le bien-être de la population.

La population suisse attache une grande importance aux services non marchands de la forêt

Milad Zarin-Nejadan (2019), La forêt suisse entre approvisio­nnement en bois et multifonct­ionnalité, Journal forestier suisse, https://szf-jfs.org/loi/swif Nicolas Borzykowsk­i (2017), Two birds, one stone: essays on the values of Swiss forest ecosystem services, thèse de doctorat, Université de Neuchâtel, http://doc. rero.ch/record/309226

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