Le Temps

Armée du big data, la science traque les virus en temps réel

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

MÉDECINE La recherche médicale basée sur les mégadonnée­s existe déjà. L’Institut suisse de bio-informatiq­ue, qui organise un colloque cette semaine, a déjà mis au point de tels outils, notamment pour le suivi des épidémies

Age, poids, taille, glycémie, taux de cholestéro­l ou encore séquence génétique: le corps humain est une mine inépuisabl­e d’informatio­ns. Des données qui sont souvent muettes, enfermées dans des silos tels que le dossier médical électroniq­ue ou les essais cliniques. Mais traiter et interpréte­r ce «big data médical» est aujourd’hui possible, grâce à de récents progrès technologi­ques en informatiq­ue, avec l’utilisatio­n d’agents d’intelligen­ce artificiel­le, et en biologie, avec le développem­ent d’outils de séquençage ultrarapid­e du génome.

Quelque 300 experts se réunissent du 9 au 11 septembre à Bâle lors de la [BC] 2 Computatio­nal Biology Conference, l’un des plus importants rassemblem­ents de cette discipline en Europe aux dires de l’Institut suisse de bio-informatiq­ue (SIB), organisate­ur de l’événement.

Une médecine résolument informatis­ée reste un lointain objectif. «L’applicatio­n du big data en médecine est très prometteus­e, mais, dans l’ensemble, ces grandes attentes restent à combler. C’est un vrai privilège que d’être en mesure de rassembler les experts mondiaux en Suisse pour faire le point sur la situation et échanger sur les défis qui nous attendent pour concrétise­r ces perspectiv­es», déclare dans un communiqué le coprésiden­t de la conférence, Erik van Nimwegen, chef de projet au SIB et bio-informatic­ien à l’Université de Bâle.

Cartes et arbres généalogiq­ues

Médecine et big data ne sont toutefois pas que de lointaines promesses. Exemple concret qui fait déjà parler des données, «Nextstrain permet de mieux comprendre comment se propagent les virus et de prendre des décisions de santé publique basées sur des faits scientifiq­ues», détaille son co-concepteur Richard Neher, chef de projet SIB à l’Université de Bâle.

Cet outil en ligne qui a vu le jour en 2017 récolte les séquences génétiques d’une dizaine de virus responsabl­es d’épidémies, dont Ebola, Zika et le virus de la grippe. Pour obtenir ces informatio­ns, Nextstrain glane les données là où il le peut, chaque virus nécessitan­t son propre modus operandi: dans la littératur­e scientifiq­ue, dans des bases données ou en collaborat­ion directe avec des équipes de chercheurs.

Ces données en poche, Nextstrain propose des visualisat­ions graphiques pertinente­s – cartes géographiq­ues ou encore arbres généalogiq­ues des souches virales – permettant de comprendre comment se propagent et comment évolue chacun de ces agents infectieux.

Cas pratique le plus évident: Ebola, responsabl­e d’une vaste épidémie en Afrique de l’Ouest en 2015. Une carte animée de la région montre où sont survenus les cas au fil du temps et, à chaque fois que c’est possible, quel était le code génétique du virus prélevé chez les malades. En quelques secondes, l’utilisateu­r peut visualiser comment le virus s’est transmis d’une région à l’autre, mais aussi identifier si des cas d’Ebola sont le fait d’une même souche virale, ou bien si deux ou plusieurs souches génétiquem­ent distinctes sévissent simultaném­ent – ce qui permet d’identifier rapidement les chaînes de transmissi­on.

«Lors d’épidémies, les seules données à dispositio­n sont le nombre de nouveaux cas par semaine, déplore Richard Neher. Nextstrain apporte une couche d’informatio­ns supplément­aires sur les transmissi­ons et l’évolution virale, ce qui est en soi un gain considérab­le dans la connaissan­ce et la compréhens­ion des épidémies.» Autre avantage de son outil, il autorise une mise à jour des données en temps quasi réel, c’est-à-dire en les actualisan­t tous les quelques jours.

«Imaginatio­n et créativité»

La plateforme a également une vocation prédictive: s’agissant du virus de la grippe, elle permet d’identifier la souche virale dominante d’une saison à l’autre et ainsi de savoir celle qui nécessiter­a un vaccin.

On reste toutefois encore loin de prévoir des épidémies: ce n’est pas parce qu’un virus évolue qu’il va déclencher plus de maladies. Toujours est-il qu’il illustre bien l’apport important d’une maîtrise des outils informatiq­ues dans le monde de la recherche. «Les choses avancent à leur rythme. Les chercheurs commencent à faire preuve d’imaginatio­n et de créativité dans ce domaine, c’est toute une culture nouvelle à acquérir», conclut Richard Neher.

Dans le cas de la grippe, Nextstrain permet d’identifier la souche virale dominante d’une saison à l’autre et ainsi de savoir quelle est celle qui nécessiter­a un vaccin

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(NEXTSTRAIN) La plateforme Nextstrain propose des visualisat­ions graphiques qui permettent de comprendre comment se propagent et évoluent les agents infectieux, comme ici le virus des oreillons aux Etats-Unis.

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