Le Temps

Ces milliers de milliards d’investisse­ments «fantômes»

Dans une étude, le FMI détaille et condamne l'ampleur de l'évasion et de l'optimisati­on fiscales. La lutte annoncée contre le phénomène n'a pas donné le résultat escompté

- RAM ETWAREEA @ram52

Près de 40% des investisse­ments directs étrangers (IDE), soit 15000 sur un total de 40000 milliards de dollars par année, ne financent pas d'usines ou d'autres activités économique­s. Ils n'alimentent pas la croissance, et encore moins la création d'emplois. Ces investisse­ments «fantômes» circulent d'une structure financière de multinatio­nales à une autre et d'un pays à un autre dans un seul but: celui d'échapper au fisc.

L'évasion ou l'optimisati­on fiscale ne sont pas un nouveau sujet. Des organisati­ons comme Tax Justice Network dénoncent le phénomène depuis plusieurs décennies. Mais désormais, même le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) s'y met. Dans la dernière édition de Finance & Developmen­t, sa publicatio­n phare, le gendarme de l'économie mondiale expose l'ampleur des investisse­ments «fantômes». Le montant qui échappe au fisc grâce à l'ingénierie financière et à l'usage de coquilles vides représente l'équivalent du produit intérieur brut (PIB) cumulé de la Chine et de l'Allemagne.

Environ 85% des investisse­ments «fantômes» dans dix pays

Le FMI souligne aussi que 85% des 15000 milliards ne se retrouvent concentrés que dans dix paradis fiscaux. Le Luxembourg et les Pays-Bas en accueillen­t presque la moitié. Le reste est réparti entre Hongkong, les îles Vierges britanniqu­es, les Bermudes, Singapour, les îles Caïmans, la Suisse, l'Irlande et l'île Maurice.

En réaction à l'étude du FMI, un économiste du Council on Foreign Relations, cité dans le Financial Times de mardi, donne l'exemple irlandais. Apple ne produit pas ses iPhone dans ce pays. Elle n'y opère pas non plus sa division recherche et développem­ent. Mais le géant technologi­que américain y est le plus grand investisse­ur. Au total, deux tiers des capitaux étrangers qui arrivent dans ce pays sont «fantômes».

Dans le sillage de la crise de 2007-2008, les Etats avaient empoigné la question de l'évasion et de l'optimisati­on fiscales dans l'espoir de remplir les caisses publiques. A cet égard, trois initiative­s de grande envergure avaient été prises: l'échange automatiqu­e d'informatio­ns, l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, plus connu sous son acronyme anglais BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), et l'échange automatiqu­e de renseignem­ents.

Désormais une pratique normale

Le FMI constate que les résultats ne sont pas au rendez-vous. «La part des investisse­ments «fantômes» dans le monde a augmenté de 30 à 40% sur une décennie, notet-il.» A ce propos, l'organisati­on Tax Justice Network affirme, dans le Financial Times de mardi, que «le transfert des profits dans des juridictio­ns fiscalemen­t avantageus­es n'est plus une pratique marginale. Il est devenu systémique et c'est ainsi que les entreprise­s font des affaires.» ▅

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