La Suisse reste ouverte à la libra, mais précise les règles du jeu
L’association qui chapeautera la future cryptomonnaie de Facebook depuis Genève devra obtenir une licence de la part de la Finma pour opérer un système de paiement. Signal positif envoyé aux acteurs des nouvelles technologies financières
Un peu moins de trois mois après son officialisation, le projet libra prend progressivement forme. La Finma a précisé mercredi que la cryptomonnaie que prévoient de lancer Facebook et 27 partenaires depuis Genève nécessitera l’obtention d’une licence. Cette prise de position confirme l’ouverture d’esprit de la Suisse pour ce type de projet, alors que les Etats-Unis ou l’Europe se sont montrés fermement opposés à la libra. Mais il y aura des règles précises à respecter.
D’ordinaire, la Finma ne répond pas aux questions sur les licences qu’elle accorde ou qui lui auraient été demandées. Mais le projet libra n’a rien d’ordinaire. Cela explique peutêtre que l’Autorité de surveillance des marchés financiers a annoncé mercredi matin avoir été approchée par ses animateurs, qui voulaient savoir s’ils auraient besoin d’une licence. Regroupés dans une association basée à Genève, Facebook et 27 partenaires prévoient de lancer une cryptomonnaie au premier semestre 2020, avec l’ambition d’offrir l’accès au système financier à des milliards d’utilisateurs.
Respect des lois applicables
Pour cela, il faudra une licence, a donc répondu la Finma, puisque la libra sera considérée comme un système de paiement. Il s’agira d’un «stable coin», c’est-à-dire une monnaie numérique adossée à un panier contenant les principales devises internationales et des obligations d’Etat. Une demande de licence sera déposée, a communiqué mercredi l’association Libra. «Pour le moment, Libra fait exactement ce qui était décrit dans son livre blanc, à savoir tout faire pour respecter les lois applicables, ce avec une démarche proactive envers la Finma», observe l’avocat Olivier Depierre, spécialisé dans les nouvelles technologies financières.
La réponse, qui plus est publique, des autorités suisses n’est pas anodine, enchaînent Fabien Gillioz et Alexandre de Boccard, avocats chez Ochsner Associés: «On voit une volonté politique en Suisse d’accepter ce genre de projet, même si beaucoup de pays étrangers ont été extrêmement critiques depuis l’annonce de la libra le 18 juin. La communication de la Finma ouvre la voie à une réflexion sur la façon dont la libra et potentiellement d’autres projets à venir devront être surveillés, c’est un pas en avant.»
Une licence n’est pas nécessairement obligatoire pour opérer un système de paiement en Suisse. Une banque ou un groupe de plusieurs établissements bancaires – comme c’est le cas pour Twint par exemple – peuvent lancer un outil de paiement sans devoir obtenir de licence ad hoc. «Mais la Finma ou la Banque nationale suisse peuvent l’exiger si elles considèrent qu’un projet peut avoir un impact sur le fonctionnement des marchés financiers ou pour des raisons de protection des utilisateurs», poursuivent les deux avocats genevois.
Une licence permettant d’opérer un système de paiement nécessite un capital minimal de 1,5 million de francs (contre 10 millions pour une licence bancaire), mais la Finma est libre de demander davantage en fonction de la taille de l’établissement et du modèle d’affaires.
Alors qu’on s’interroge sur l’absence d’activités réelles de l’association Libra à Genève, l’annonce de la Finma apporte un début de réponse. «L’obtention d’une telle licence implique également que les infrastructures et les ressources, notamment humaines, nécessaires à l’exploitation d’un système de paiement soient principalement basées en Suisse. Moins d’une dizaine de personnes ne semble pas réaliste pour un système de paiement autorisé qui n’est par hypothèse pas exploité par une banque, même pour un système très automatisé», évaluent encore Fabien Gillioz et Alexandre de Boccard.
Exigences supplémentaires possibles
Des conditions supplémentaires pourront être posées à l’avenir. «Il est possible que la Suisse exige davantage de réserves pour le projet libra, qui prévoit de détenir une unité de monnaie fiduciaire pour une unité de libra coin», reprend Olivier Depierre. Compte tenu des ambitions mondiales de la libra, la Finma n’exclut pas qu’une surveillance plus large doive être organisée, en partenariat avec d’autres autorités financières. De futurs services basés sur la libra nécessiteraient eux aussi des autorisations adéquates.
Reste la question du timing: la constitution d’une demande de licence peut prendre entre trois et six mois, auxquels s’ajoutent au moins six mois d’examen par la Finma. Ce qui reporterait vraisemblablement à l’automne 2020 le lancement de la libra, un peu au-delà du calendrier prévu jusque-là. ▅
«L’obtention d’une telle licence implique que les infrastructures et les ressources, notamment humaines, […] soient principalement basées en Suisse»
FABIEN GILLIOZ ET ALEXANDRE DE BOCCARD, AVOCATS CHEZ OCHSNER ASSOCIÉS