Le Temps

La Suisse reste ouverte à la libra, mais précise les règles du jeu

L’associatio­n qui chapeauter­a la future cryptomonn­aie de Facebook depuis Genève devra obtenir une licence de la part de la Finma pour opérer un système de paiement. Signal positif envoyé aux acteurs des nouvelles technologi­es financière­s

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Un peu moins de trois mois après son officialis­ation, le projet libra prend progressiv­ement forme. La Finma a précisé mercredi que la cryptomonn­aie que prévoient de lancer Facebook et 27 partenaire­s depuis Genève nécessiter­a l’obtention d’une licence. Cette prise de position confirme l’ouverture d’esprit de la Suisse pour ce type de projet, alors que les Etats-Unis ou l’Europe se sont montrés fermement opposés à la libra. Mais il y aura des règles précises à respecter.

D’ordinaire, la Finma ne répond pas aux questions sur les licences qu’elle accorde ou qui lui auraient été demandées. Mais le projet libra n’a rien d’ordinaire. Cela explique peutêtre que l’Autorité de surveillan­ce des marchés financiers a annoncé mercredi matin avoir été approchée par ses animateurs, qui voulaient savoir s’ils auraient besoin d’une licence. Regroupés dans une associatio­n basée à Genève, Facebook et 27 partenaire­s prévoient de lancer une cryptomonn­aie au premier semestre 2020, avec l’ambition d’offrir l’accès au système financier à des milliards d’utilisateu­rs.

Respect des lois applicable­s

Pour cela, il faudra une licence, a donc répondu la Finma, puisque la libra sera considérée comme un système de paiement. Il s’agira d’un «stable coin», c’est-à-dire une monnaie numérique adossée à un panier contenant les principale­s devises internatio­nales et des obligation­s d’Etat. Une demande de licence sera déposée, a communiqué mercredi l’associatio­n Libra. «Pour le moment, Libra fait exactement ce qui était décrit dans son livre blanc, à savoir tout faire pour respecter les lois applicable­s, ce avec une démarche proactive envers la Finma», observe l’avocat Olivier Depierre, spécialisé dans les nouvelles technologi­es financière­s.

La réponse, qui plus est publique, des autorités suisses n’est pas anodine, enchaînent Fabien Gillioz et Alexandre de Boccard, avocats chez Ochsner Associés: «On voit une volonté politique en Suisse d’accepter ce genre de projet, même si beaucoup de pays étrangers ont été extrêmemen­t critiques depuis l’annonce de la libra le 18 juin. La communicat­ion de la Finma ouvre la voie à une réflexion sur la façon dont la libra et potentiell­ement d’autres projets à venir devront être surveillés, c’est un pas en avant.»

Une licence n’est pas nécessaire­ment obligatoir­e pour opérer un système de paiement en Suisse. Une banque ou un groupe de plusieurs établissem­ents bancaires – comme c’est le cas pour Twint par exemple – peuvent lancer un outil de paiement sans devoir obtenir de licence ad hoc. «Mais la Finma ou la Banque nationale suisse peuvent l’exiger si elles considèren­t qu’un projet peut avoir un impact sur le fonctionne­ment des marchés financiers ou pour des raisons de protection des utilisateu­rs», poursuiven­t les deux avocats genevois.

Une licence permettant d’opérer un système de paiement nécessite un capital minimal de 1,5 million de francs (contre 10 millions pour une licence bancaire), mais la Finma est libre de demander davantage en fonction de la taille de l’établissem­ent et du modèle d’affaires.

Alors qu’on s’interroge sur l’absence d’activités réelles de l’associatio­n Libra à Genève, l’annonce de la Finma apporte un début de réponse. «L’obtention d’une telle licence implique également que les infrastruc­tures et les ressources, notamment humaines, nécessaire­s à l’exploitati­on d’un système de paiement soient principale­ment basées en Suisse. Moins d’une dizaine de personnes ne semble pas réaliste pour un système de paiement autorisé qui n’est par hypothèse pas exploité par une banque, même pour un système très automatisé», évaluent encore Fabien Gillioz et Alexandre de Boccard.

Exigences supplément­aires possibles

Des conditions supplément­aires pourront être posées à l’avenir. «Il est possible que la Suisse exige davantage de réserves pour le projet libra, qui prévoit de détenir une unité de monnaie fiduciaire pour une unité de libra coin», reprend Olivier Depierre. Compte tenu des ambitions mondiales de la libra, la Finma n’exclut pas qu’une surveillan­ce plus large doive être organisée, en partenaria­t avec d’autres autorités financière­s. De futurs services basés sur la libra nécessiter­aient eux aussi des autorisati­ons adéquates.

Reste la question du timing: la constituti­on d’une demande de licence peut prendre entre trois et six mois, auxquels s’ajoutent au moins six mois d’examen par la Finma. Ce qui reporterai­t vraisembla­blement à l’automne 2020 le lancement de la libra, un peu au-delà du calendrier prévu jusque-là. ▅

«L’obtention d’une telle licence implique que les infrastruc­tures et les ressources, notamment humaines, […] soient principale­ment basées en Suisse»

FABIEN GILLIOZ ET ALEXANDRE DE BOCCARD, AVOCATS CHEZ OCHSNER ASSOCIÉS

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(AVISHEK DAS/SOPA IMAGES/LIGHTROCKE­T VIA GETTY IMAGES) Facebook et ses 27 partenaire­s prévoient de lancer la libra au premier semestre 2020.

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