Le Temps

Vers un réseau de soins à l’américaine?

Le deuxième groupe de cliniques privées entend créer un réseau de soins autour d’une assurance, d’hôpitaux et de médecins, de manière à offrir à ses membres des primes parmi les plus basses de Suisse. Administra­teur délégué de Swiss Medical Network, Antoi

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @ mfguillaum­e

Swiss Medical Network (SMN) propose un modèle de réseau de soins regroupant hôpitaux, médecins et assureurs, et piloté par une fondation ■ La concurrenc­e entre les différents réseaux serait une garantie de qualité des soins et de maîtrise des coûts, offrant les primes les plus basses sur le marché ■ Selon Antoine Hubert, administra­teur délégué de SMN, cela permettrai­t une meilleure planificat­ion hospitaliè­re, dans la ligne de ce que souhaite l’OFSP ■ Ce système supprimera­it la liberté de contracter, si chère à l’assuré suisse, mais l’idée est déjà accueillie plutôt favorablem­ent, notamment par Monsieur Prix

Le deuxième groupe de cliniques privées de Suisse, Swiss Medical Network (SMN), veut secouer le monde de la santé. Dans l’esprit du Conseil fédéral qui pense introduire un article expériment­al permettant des projets pilotes sans devoir modifier la loi sur l’assurance maladie (LAMal), il compte proposer un modèle de soins intégrés totalement innovant pour la Suisse. A l’enseigne de «Total Health», le citoyen devient membre d’un réseau de soins dirigé par une fondation réunissant une assurance, des hôpitaux, des médecins et autres acteurs de la santé. Ce modèle, dont les primes correspond­raient aux plus basses actuelleme­nt sur le marché, entend supprimer une grande partie des mauvais incitatifs qui font que le système de santé suisse devient de plus en plus difficilem­ent finançable. Les médecins ne seraient plus rémunérés à l’acte, mais disposerai­ent d’un forfait basé sur le nombre de membres. Ils ne seraient ainsi plus incités à multiplier les prestation­s, mais à suivre un assuré sur le long terme dans le but de le maintenir le plus longtemps possible en bonne santé. Le Temps a interviewé l’administra­teur délégué de SMN Antoine Hubert.

Qu’est-ce qui vous incite à proposer un tel modèle? Le système suisse de santé dysfonctio­nne. Pour les caisses maladie, l’assuré idéal est un assuré mort. Pour les prestatair­es de soins, le patient idéal est un malade chronique. Les intérêts si divergents des divers acteurs de la santé ne peuvent que mener à une explosion des coûts. Le système actuel est condamné. Il faut créer un cercle vertueux au lieu d’un cercle vicieux. Vous vous inspirez d’un modèle américain. Mais les Etats-Unis sont très loin d’avoir un système de santé solidaire! On peut certes critiquer leur système pour son manque de solidarité. Mais en matière d’innovation, les EtatsUnis sont souvent à la pointe et la concurrenc­e exacerbée qui s’y déroule mène à une vraie course à la qualité dans l’offre. En Suisse, les assureurs remboursen­t tous les prestatair­es, sans prise en compte de véritables mesures de qualité. Un citoyen qui serait prêt à faire des efforts pour réduire les coûts de la santé perd vite courage. Comment fonctionne Kaiser Permanente, le réseau de soins intégrés américain? Chargée de la gouvernanc­e, une fondation accorde aux prestatair­es de soins et aux médecins un forfait annuel qui n’est pas calculé en fonction du volume, mais du nombre de membres. Plus ceux-ci sont nombreux, plus ce forfait est important. Les médecins n’ont ainsi plus aucune tentation de faire des actes inutiles dans un tel système. La pertinence et la qualité de leurs actes sont systématiq­uement mesurées et les membres qui ne seraient pas satisfaits peuvent quitter le réseau et rejoindre l’un des modèles existants aujourd’hui. C’est là l’un des principaux changement­s de paradigme.

Les médecins ne seront-ils pas moins bien rémunérés?

Ils resteront bien rémunérés, peut-être un peu moins que la moyenne dans leur spécialité, mais seront débarrassé­s d’une grande partie de leur corvée administra­tive. En confiant des actes de routine aux infirmiers et infirmière­s, ils pourront se consacrer aux cas les plus compliqués. De plus, ils favorisero­nt le transfert des opérations du stationnai­re en ambulatoir­e, là où les actes sont beaucoup moins coûteux. Un suivi et une prise en charge à domicile prenant alors le relais.

Et l’individu dans tout cela? Il n’aura plus le choix de son médecin ni de son hôpital! Le citoyen aura le choix de son médecin à l’intérieur du réseau de soins intégrés pour lequel il aura aussi opté. Il sera suivi tout au long de son parcours de vie, notamment par de véritables mesures de prévention, qui visent à le maintenir en bonne santé. Il sera donc responsabi­lisé et incité à adopter de bons comporteme­nts en matière de nutrition par exemple. Mais il ne s’agit bien sûr pas d’en faire un ascète. Le citoyen doit garder le libre choix de son mode de vie. La concurrenc­e entre modèles est le meilleur moyen de lutter contre la spirale des coûts.

«Le système actuel de santé est condamné. Il faut créer un cercle vertueux au lieu d’un cercle vicieux»

En quoi le système sera-t-il plus efficace? Kaiser Permanente prend en charge 12,2 millions de membres avec 39 hôpitaux, quelque 600 centres ambulatoir­es et près de 200 000 employés dont 22000 médecins. En Suisse, nous avons 280 hôpitaux et 37000 médecins pour une population de 8,5 millions d’habitants. Il y a ici trop d’hôpitaux, c’est évident.

Mais la qualité des soins reste bonne, voire excellente! Le citoyen suisse a l’illusion d’avoir un système parfait, car l’accès y est facile sans listes d’attente. Mais lorsqu’on tient compte du critère de la pertinence des actes effectués, on peut s’interroger. Nous avons de très bons hôpitaux, mais aussi de moins bons que nous continuons à financer. Certains hôpitaux universita­ires sont à la pointe, d’autres dysfonctio­nnent. Notre pays est trop petit pour une telle disséminat­ion des ressources. En Suisse romande par exemple, nous n’avons pas un seul hôpital ou clinique qui fasse un nombre suffisant d’opérations cardiaques selon les standards internatio­naux!

Votre modèle est complèteme­nt disruptif pour la Suisse. Pensez-vous qu’il s’imposera dans un pays avec une assurance de base si généreuse en prestation­s? Pourquoi pas? Ce système correspond tout à fait à la direction que veut emprunter l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) après le rapport d’experts rédigé voici deux ans: des réseaux de soins mieux intégrés, la suppressio­n des actes superflus, une planificat­ion hospitaliè­re mieux coordonnée. Il faut pour cela qu’une assurance s’allie avec des hôpitaux et des médecins. Ces trois acteurs devront admettre de partager la gouvernanc­e, donc perdre un peu de leur pouvoir.

Allez-vous attendre que le parlement ratifie l’article expériment­al proposé par le Conseil fédéral pour lancer votre modèle? Il n’y en a pas forcément besoin. Les premiers échos que nous avons reçus sont positifs. Les assurances maladie sont les plus réticentes, car ce modèle cannibalis­e leur système historique. Peut-être devronsnou­s travailler avec un assureur qui n’est pas encore actif dans le domaine de la santé.

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(FRANÇOIS WAVRE/LUNDI13) Antoine Huber: «Le système suisse de santé dysfonctio­nne. Les intérêts si divergents des divers acteurs de la santé ne peuvent que mener à une explosion des coûts.»

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