Le Temps

La Diada, miroir des divisions catalanes

- FRANÇOIS MUSSEAU, MADRID

La Diada, la fête séparatist­e catalane, a réuni près de 600 000 personnes à Barcelone. Un rassemblem­ent qui a mis en lumière les divisions au sein des indépendan­tistes, à quelques semaines de la sentence judiciaire contre leurs dirigeants pour la tentative de sécession de 2017.

Le camp indépendan­tiste, qui représente­rait la moitié de la population catalane, a étalé sa désunion mercredi dans les rues de Barcelone. En son sein s’opposent les «radicaux», partisans d’un passage en force, et les «pragmatiqu­es», décidés à jouer le jeu des institutio­ns

Sous une pluie battante, responsabl­es politiques et célébrités se sont succédé devant la statue de Rafael Casanova, une icône de la résistance catalane du XVIIIe siècle, pour la traditionn­elle offrande florale. Comme chaque année, ce geste rituel a inauguré la Diada, cette fête qui, depuis 2012, est devenue la principale manifestat­ion du séparatism­e. Une sorte de démonstrat­ion de force qui entend rappeler au pouvoir central espagnol que «le peuple catalan» entend décider de son avenir. Deux ans après l’automne 2017, au cours duquel l’exécutif régional sécessionn­iste avait organisé un référendum d’autodéterm­ination illégal sitôt réprimé par Madrid – neuf de ses supposés organisate­urs sont actuelleme­nt en prison préventive dans l’attente du verdict du Tribunal suprême –, la marche monstre de centaines de milliers de manifestan­ts prétendait envoyer mercredi un message d’unité au reste du pays.

Une avenue, deux endroits

Or, tout à l’inverse, c’est la désunion de la famille indépendan­tiste qui est apparue au grand jour. Représenta­nt une moitié des quelque 7,5 millions de Catalans, elle est en effet fracturée en deux camps de plus en plus opposés: d’une part, les «radicaux», emmenés par le chef de l’exécutif catalan Quim Torra, un historien de formation, et son parti Junts per Catalunya, soutenus par l’Assemblée nationale de Catalogne, l’ANC, organisatr­ice de la Diada d’hier, par les anticapita­listes de la CUP ou encore les CDR, ces Comités de défense de la république qui organisent des actions de rue.

A leurs yeux, il n’y a rien à négocier avec le pouvoir central puisque, disentils, Madrid n’acceptera jamais la tenue d’un référendum d’autodéterm­ination pour la Catalogne. La seule solution est donc la désobéissa­nce aux lois espagnoles, comme l’a fait le parlement autonome catalan en septembre 2017 en approuvant des «lois de déconnexio­n», c’est-à-dire une législatio­n devant préparer l’avènement d’une «République de Catalogne». La solution à leurs yeux: une déclaratio­n unilatéral­e d’indépendan­ce.

L’autre camp est celui des «modérés» ou, selon les termes de certains d’entre eux, des «pragmatiqu­es». Il est composé principale­ment par l’autre grande formation séparatist­e, Esquerra Republican­a (ERC), dirigée par Oriol Junqueras, un des neuf leaders sécessionn­istes en préventive dans la prison de Lledoners, près de Barcelone – jugés pour «sédition» et «rébellion» lors des événements de l’automne 2017, ces détenus attendent le verdict prévu courant octobre. A leurs côtés figure aussi l’influente organisati­on culturelle Omnium, dont le chef de file Jordi Cuixart se trouve aussi derrière les barreaux dans la même prison.

«La Diada devrait être le jour de fête de tous les Catalans. Or, elle ne rassemble qu’une partie d’entre eux» PEDRO SANCHEZ, PREMIER MINISTRE ESPAGNOL

Pour ceux-là, comme le rappelait le même Jordi Cuixart mardi, «le dialogue avec Madrid est la seule et unique voie pour résoudre le conflit». Autrement dit, ce camp s’oppose à toute action unilatéral­e et illégale et veut croire que le pouvoir central finira par «céder aux aspiration­s légitimes du peuple catalan», ce qui «doit forcément passer par une consultati­on populaire». La plupart des enquêtes d’opinion estiment qu’environ trois quarts des Catalans sont favorables à l’organisati­on d’un référendum d’autodéterm­ination, légal selon les voeux de la majorité d’entre eux.

Mercredi, on pouvait constater la brèche entre les deux stratégies. Les manifestan­ts ont tous défilé le long de la Gran Via, depuis la Passeig de Gracia jusqu’à la Plaça d’Espanya. Mais chaque camp avait choisi ses lieux de prédilecti­on. Ainsi, sous la houlette du président régional Quim Torra, les «radicaux» se sont notamment regroupés dans les endroits les plus emblématiq­ues de la résistance catalane. Tout spécialeme­nt au Fossar de les Moreres, un lieu de mémoire accolé à la basilique barcelonai­se de Santa Maria del Pi, dans le quartier gothique, où sont enterrés les soldats ayant combattu pour défendre la ville contre le siège des armées des Bourbons en 1714. Dans l’imaginaire des indépendan­tistes, en effet, cette guerre de Succession a correspond­u à un combat entre «l’envahisseu­r espagnol» et «les Barcelonai­s». De la même façon, l’offrande florale devant la statue de Rafael Casanova veut célébrer «la résilience d’un héros catalan contre l’oppression espagnole».

Un verdict attendu par tous

Bien plus loin, comme s’il s’agissait d’une autre manifestat­ion, le vice-président d’Omnium Marcel Máuri insistait au micro pour «ne pas chercher une confrontat­ion violente et stérile» avec l’Etat espagnol. Depuis la prison de Lledoners, le leader d’Esquerra Republican­a Oriol Junqueras a défendu le même point de vue. Une certitude: le verdict du Tribunal suprême, à Madrid, est attendu par tous avec un immense intérêt. Si la sentence du juge Marchena est sévère et condamne les suspects à plus de 10 ans de prison, il faut s’attendre à une véhémente réaction des séparatist­es. Oriol Junqueras est, lui, favorable à la tenue d’élections anticipées aussitôt après, persuadé que son camp, celui des «pragmatiqu­es», emporterai­t la mise. Quant à Quim Torra, à l’inverse, dont on sait qu’il prend ses ordres auprès de Carles Puigdemont – son prédécesse­ur réfugié en Belgique pour éviter la prison en Espagne – il est de l’avis contraire.

Depuis Madrid, le chef du gouverneme­nt espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, adressait hier un message amer sur la Diada: «Elle devrait être le jour de fête de tous les Catalans. Or, elle ne rassemble qu’une partie d’entre eux.» Le slogan de la manifestat­ion hier était «Objectif Indépendan­ce». «Un authentiqu­e scandale», au dire de Lorena Roldan, chef de file de Ciudadanos, qui en Catalogne représente une large partie de l’opinion favorable au maintien dans l’Espagne. «Nous, les Catalans non nationalis­tes, sommes traités comme des exclus.»

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PRÉSIDENT DE LA GÉNÉRALITÉ DE CATALOGNE, «RADICAL»
QUIM TORRA PRÉSIDENT DE LA GÉNÉRALITÉ DE CATALOGNE, «RADICAL»
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ORIOL JUNQUERAS VICE-PRÉSIDENT DU GOUVERNEME­NT DE CATALOGNE, «PRAGMATIQU­E»

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