La Diada, miroir des divisions catalanes
La Diada, la fête séparatiste catalane, a réuni près de 600 000 personnes à Barcelone. Un rassemblement qui a mis en lumière les divisions au sein des indépendantistes, à quelques semaines de la sentence judiciaire contre leurs dirigeants pour la tentative de sécession de 2017.
Le camp indépendantiste, qui représenterait la moitié de la population catalane, a étalé sa désunion mercredi dans les rues de Barcelone. En son sein s’opposent les «radicaux», partisans d’un passage en force, et les «pragmatiques», décidés à jouer le jeu des institutions
Sous une pluie battante, responsables politiques et célébrités se sont succédé devant la statue de Rafael Casanova, une icône de la résistance catalane du XVIIIe siècle, pour la traditionnelle offrande florale. Comme chaque année, ce geste rituel a inauguré la Diada, cette fête qui, depuis 2012, est devenue la principale manifestation du séparatisme. Une sorte de démonstration de force qui entend rappeler au pouvoir central espagnol que «le peuple catalan» entend décider de son avenir. Deux ans après l’automne 2017, au cours duquel l’exécutif régional sécessionniste avait organisé un référendum d’autodétermination illégal sitôt réprimé par Madrid – neuf de ses supposés organisateurs sont actuellement en prison préventive dans l’attente du verdict du Tribunal suprême –, la marche monstre de centaines de milliers de manifestants prétendait envoyer mercredi un message d’unité au reste du pays.
Une avenue, deux endroits
Or, tout à l’inverse, c’est la désunion de la famille indépendantiste qui est apparue au grand jour. Représentant une moitié des quelque 7,5 millions de Catalans, elle est en effet fracturée en deux camps de plus en plus opposés: d’une part, les «radicaux», emmenés par le chef de l’exécutif catalan Quim Torra, un historien de formation, et son parti Junts per Catalunya, soutenus par l’Assemblée nationale de Catalogne, l’ANC, organisatrice de la Diada d’hier, par les anticapitalistes de la CUP ou encore les CDR, ces Comités de défense de la république qui organisent des actions de rue.
A leurs yeux, il n’y a rien à négocier avec le pouvoir central puisque, disentils, Madrid n’acceptera jamais la tenue d’un référendum d’autodétermination pour la Catalogne. La seule solution est donc la désobéissance aux lois espagnoles, comme l’a fait le parlement autonome catalan en septembre 2017 en approuvant des «lois de déconnexion», c’est-à-dire une législation devant préparer l’avènement d’une «République de Catalogne». La solution à leurs yeux: une déclaration unilatérale d’indépendance.
L’autre camp est celui des «modérés» ou, selon les termes de certains d’entre eux, des «pragmatiques». Il est composé principalement par l’autre grande formation séparatiste, Esquerra Republicana (ERC), dirigée par Oriol Junqueras, un des neuf leaders sécessionnistes en préventive dans la prison de Lledoners, près de Barcelone – jugés pour «sédition» et «rébellion» lors des événements de l’automne 2017, ces détenus attendent le verdict prévu courant octobre. A leurs côtés figure aussi l’influente organisation culturelle Omnium, dont le chef de file Jordi Cuixart se trouve aussi derrière les barreaux dans la même prison.
«La Diada devrait être le jour de fête de tous les Catalans. Or, elle ne rassemble qu’une partie d’entre eux» PEDRO SANCHEZ, PREMIER MINISTRE ESPAGNOL
Pour ceux-là, comme le rappelait le même Jordi Cuixart mardi, «le dialogue avec Madrid est la seule et unique voie pour résoudre le conflit». Autrement dit, ce camp s’oppose à toute action unilatérale et illégale et veut croire que le pouvoir central finira par «céder aux aspirations légitimes du peuple catalan», ce qui «doit forcément passer par une consultation populaire». La plupart des enquêtes d’opinion estiment qu’environ trois quarts des Catalans sont favorables à l’organisation d’un référendum d’autodétermination, légal selon les voeux de la majorité d’entre eux.
Mercredi, on pouvait constater la brèche entre les deux stratégies. Les manifestants ont tous défilé le long de la Gran Via, depuis la Passeig de Gracia jusqu’à la Plaça d’Espanya. Mais chaque camp avait choisi ses lieux de prédilection. Ainsi, sous la houlette du président régional Quim Torra, les «radicaux» se sont notamment regroupés dans les endroits les plus emblématiques de la résistance catalane. Tout spécialement au Fossar de les Moreres, un lieu de mémoire accolé à la basilique barcelonaise de Santa Maria del Pi, dans le quartier gothique, où sont enterrés les soldats ayant combattu pour défendre la ville contre le siège des armées des Bourbons en 1714. Dans l’imaginaire des indépendantistes, en effet, cette guerre de Succession a correspondu à un combat entre «l’envahisseur espagnol» et «les Barcelonais». De la même façon, l’offrande florale devant la statue de Rafael Casanova veut célébrer «la résilience d’un héros catalan contre l’oppression espagnole».
Un verdict attendu par tous
Bien plus loin, comme s’il s’agissait d’une autre manifestation, le vice-président d’Omnium Marcel Máuri insistait au micro pour «ne pas chercher une confrontation violente et stérile» avec l’Etat espagnol. Depuis la prison de Lledoners, le leader d’Esquerra Republicana Oriol Junqueras a défendu le même point de vue. Une certitude: le verdict du Tribunal suprême, à Madrid, est attendu par tous avec un immense intérêt. Si la sentence du juge Marchena est sévère et condamne les suspects à plus de 10 ans de prison, il faut s’attendre à une véhémente réaction des séparatistes. Oriol Junqueras est, lui, favorable à la tenue d’élections anticipées aussitôt après, persuadé que son camp, celui des «pragmatiques», emporterait la mise. Quant à Quim Torra, à l’inverse, dont on sait qu’il prend ses ordres auprès de Carles Puigdemont – son prédécesseur réfugié en Belgique pour éviter la prison en Espagne – il est de l’avis contraire.
Depuis Madrid, le chef du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, adressait hier un message amer sur la Diada: «Elle devrait être le jour de fête de tous les Catalans. Or, elle ne rassemble qu’une partie d’entre eux.» Le slogan de la manifestation hier était «Objectif Indépendance». «Un authentique scandale», au dire de Lorena Roldan, chef de file de Ciudadanos, qui en Catalogne représente une large partie de l’opinion favorable au maintien dans l’Espagne. «Nous, les Catalans non nationalistes, sommes traités comme des exclus.»
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