L’affaire Dreyfus et les contrevérités de Tariq Ramadan
Le fait que Tariq Ramadan ait pu constituer une «cible» pour certains, résolus à le faire taire, est parfaitement plausible. Mais lorsque l’islamologue, aujourd’hui accusé de viols, se dresse en victime judiciaire en invoquant l’affaire Dreyfus, la comparaison est indigne. Alfred Dreyfus, qui rêvait d’une nation unie, forte, fidèle à ses idéaux républicains dans un pays alors dominé par l’Eglise catholique, voulait rassembler la France. Tariq Ramadan, lui, en prônant le communautarisme, a toujours rêvé de la diviser. La chronique de Richard Werly.
Alfred Dreyfus était un patriote français. Jamais, tout au long de son calvaire personnel, militaire, politique et judiciaire entre sa mise en accusation et sa déportation au bagne pour «haute trahison», le 22 décembre 1894, et l'annulation de sa condamnation le 12 juillet 1906, le capitaine alsacien de confession juive ne s'en est pris au pays qui, pourtant, l'expédia à l'île du Diable. Et ce, malgré les fautes commises à son encontre, résumées en 1998 par le ministre de la Défense Alain Richard: «Nous savons que plusieurs des pouvoirs constitués de l'époque s'étaient fourvoyés, écrivait-il lors de l'inauguration d'une plaque en l'honneur d'Alfred Dreyfus à l'école militaire. Le Gouvernement, l'institution militaire, le Parlement, l'autorité judiciaire ont pris part à la stigmatisation du Capitaine Dreyfus, convaincu d'espionnage après une enquête faussée. Chacune de ces institutions s'était montrée perméable à deux dérives qui pesaient lourdement sur la société: d'une part la révérence passive pour l'autorité en place, d'autre part, l'antisémitisme.»
Tariq Ramadan est de nationalité suisse. La France, depuis ses débuts en tant que prédicateur musulman, a toujours constitué en premier lieu un «bassin» de fidèles, d'auditeurs et de lecteurs pour ses ouvrages. C'est à Lyon que l'islamologue a accédé à la notoriété dans les années 1990 grâce au soutien de l'Union des jeunes musulmans (UJM) et des réseaux de la confrérie des Frères musulmans fondée par son grandpère égyptien, Hassan al-Banna, persécuté par Nasser. C'est à Saint-Denis, ville au confluent de toutes les immigrations au nord de Paris, que le prédicateur Tariq Ramadan s'était installé pour collaborer au centre Tawhid d'études islamiques. Lequel, en mars dernier, a refusé de le réintégrer. Rien à voir donc, dans les parcours de ces deux hommes, à un siècle de distance. L'un, Alfred Dreyfus, avait intégré l'Ecole polytechnique, puis l'armée, pour défendre la France avec, en tête, le cruel souvenir de l'annexion allemande de l'Alsace-Lorraine en 1871. L'autre, Tariq Ramadan, a commencé à évoquer en 2016 sa possible demande de naturalisation française – rendue possible par son épouse – en dénonçant une république présumée discriminatoire pour les musulmans.
Ce rappel factuel s'est imposé à moi alors que je tentais d'obtenir Devoir de vérité, le livre que Tariq Ramadan vient de publier, et que la justice française, saisie par l'une des plaignantes qui l'accuse de viol, a autorisé mardi soir. J'écris «tentais», car l'éditeur m'a dit ne pas pouvoir m'adresser une copie électronique de l'ouvrage, dont je n'ai pu lire que des extraits à l'heure d'écrire ces lignes. Place donc à l'affirmation centrale: présumé innocent, résolu à contredire ses accusatrices dont il dénonce les témoignages et les manipulations, l'islamologue brosse une toile de fond, qu'il a répétée le 6 septembre sur BFM TV. Il se compare au capitaine Dreyfus. Il se dit victime d'un «racisme systémique». Il dénonce le climat d'islamophobie, proche selon lui de l'antisémitisme de la fin du XIXe siècle. Il pilonne le comportement des juges qui l'ont envoyé près de dix mois en détention (de sa mise en examen le 2 février 2018 au 15 novembre 2018), puis l'ont libéré après paiement d'une caution de 300000 euros et obligation de pointer chaque semaine au commissariat. J'ai donc lu, pour cette chronique, L’Affaire
Dreyfus, vérités et légendes qui vient de sortir aux Editions Perrin. Et, sans entrer dans la comparaison douteuse antisémitisme-anti-islamisme – et sans commenter surtout l'affaire judiciaire en cours –, j'ai compris ce qui n'est absolument pas recevable de la part de Tariq Ramadan. Alfred Dreyfus rêvait d'une France unie, forte, fidèle à ses idéaux républicains dans un pays alors dominé par l'Eglise catholique. L'officier Dreyfus croyait en l'Etat. Tariq Ramadan, lui, a toujours prôné le communautarisme. Il a toujours, en France, cherché à distinguer les musulmans des autres Français, accusant l'Etat de les traiter en citoyens de seconde zone.
Les époques, bien sûr, ne sont pas comparables. Les discriminations dont sont victimes les Français issus de l'immigration sont incontestables. Le fait que Tariq Ramadan ait pu constituer une «cible» pour certains, résolus à le faire taire, est tout aussi flagrant. Mais l'évocation d'Alfred Dreyfus ne tient pas debout. Pire: elle est indigne. Alfred Dreyfus voulait rassembler la France. Tariq Ramadan, en coulisses ou en public, a toujours rêvé de la diviser.