Congé paternité: un succès d’étape, rien de plus
Le modèle du congé parental n’a pas fait le poids face au congé paternité. La Chambre du peuple a opté pour une solution minimaliste, rejetant aussi l’initiative de Travail.Suisse
La Suisse aura un congé paternité de deux semaines. «Une journée historique», ont clamé les partisans du compromis bien helvétique, qui se recrutaient surtout au PDC. Toutes les propositions de minorité, celles qui prônaient un congé parental de 28 à 52 semaines à se répartir entre les deux parents, ont été rejetées, pour ne pas dire balayées.
Une journée vraiment historique? Jusqu’à présent, la Suisse était la lanterne rouge parmi les pays de l’OCDE dans le soutien aux jeunes parents. Aucune trace d’un congé paternité dans la loi, juste un jour accordé par le Code des obligations. Une misère bien à l’image d’une politique familiale encore très embryonnaire en Suisse, qualifiée plusieurs fois de «pays en voie de développement» en la matière lors du débat.
Dans ce contexte, les deux semaines octroyées par le Conseil national ne peuvent être qu’une étape intermédiaire. Un petit, tout petit pas dans la bonne direction. Car dix jours, voire vingt jours, ne suffiront jamais pour aboutir à une nouvelle réelle répartition des rôles au sein du couple. Juste de quoi permettre au père de gagner en compétences et en sûreté dans des gestes élémentaires avec son bébé, qui risquent cependant d’être vite oubliés une fois le congé terminé.
Le 14 juin dernier, près de 500 000 personnes – femmes et hommes, jeunes et vieux, Suisses et étrangers – sont descendus dans la rue. Sur leurs pancartes, elles n’ont jamais réclamé un congé paternité de deux semaines, mais un congé parental beaucoup plus généreux, oscillant entre 30 et 50 semaines. Le congé paternité est un combat d’arrière-garde. Seul un congé parental raisonnable – entre 20 et 30 semaines – assurera l’égalité des chances entre hommes et femmes dans leur carrière professionnelle, de même qu’il profitera à une économie en quête de main-d’oeuvre qualifiée.
Fort heureusement, les choses bougent sous la poussée de la société civile. Une fondation spécialisée dans la récolte de signatures puis le Parti socialiste ont déjà annoncé le lancement d’une initiative pour un congé parental. Mais ses partisans devront encore patienter plusieurs années. Le peuple étant plus progressiste que le parlement, l’espoir est permis d’ici à la fin de la prochaine législature.
Une journée historique, vraiment?
La Suisse aura un congé paternité de deux semaines. Ainsi en a décidé le Conseil national, qui a suivi le Conseil des Etats. A une large majorité, il a favorisé un contre-projet indirect à l’initiative des quatre semaines du syndicat Travail. Suisse, pourtant soutenue par 180 organisations de la société civile. Le PDC a été le parti le plus enthousiaste à saluer ce progrès vers l’égalité. Après avoir perdu de justesse sur la motion de Martin Candinas (PDC/GR) en 2016, le «parti de la famille» a savouré sa revanche. Philipp Kutter (PDC/ZH) a souligné la nécessité de ce congé de deux semaines, que les PME peuvent assumer financièrement. Son prix est raisonnable: 230 millions de francs financés par les allocations pour perte de gain (APG), pour moitié à la charge des employeurs et pour moitié à celle des travailleurs.
L’UDC envoie des femmes au front
Mais, mis à part le PDC, le compromis adopté hier par le Conseil national a laissé la gauche sur sa faim, tandis que la droite dure a vainement tenté de le torpiller. Adversaire convaincu du projet, l’UDC a envoyé des femmes au front: Nadja Pieren (BE) et Verena Herzog (TG). La première a fait remarquer que les «vrais coûts du projet, incluant les dépenses indirectes», se monteraient en réalité à un milliard de francs. La seconde a déploré un développement de l’Etat social, alors que certaines assurances n’ont pas encore été assainies. Elle s’est aussi interrogée sur la nécessité d’un tel congé, dans la mesure où «la nature fait que le père ne peut qu’assister sa femme de manière limitée à la naissance de l’enfant».
Les autres partis ont donc été plutôt «déçus en bien». Pour eux, ce compromis ne pouvait être qu’«une étape intermédiaire» sur le chemin d’un congé parental, soit un congé beaucoup plus généreux mettant à égalité les deux parents. Dans le cadre d’une proposition minimale, les Vert’libéraux ont prôné 14 semaines pour les pères en appoint des 14 semaines déjà accordées aux femmes par le congé maternité. «Le congé paternité est un combat d’arrière-garde. Seul le congé parental assure une égalité des chances aux deux parents dans leur carrière professionnelle», déclare Isabelle Chevalley (Vert’libéraux/VD).
Et sa collègue Kathrin Bertschy (VD), qui a déposé une motion dans ce sens en 2014 déjà, de renchérir: «L’initiative de Travail.Suisse prônant les quatre semaines a été dépassée par la grève des femmes du 14 juin dernier.» Cet événement, qui a vu près de 500000 hommes et femmes investir toutes les grandes villes de Suisse, a réveillé les consciences, notamment dans les partis de droite. «Même de nombreux hommes des partis bourgeois se sont rendu compte que l’égalité n’était pas réalisée», affirme-t-elle.
A droite, le vice-président du PLR, Philippe Nantermod, n’avait pas besoin d’être convaincu par l’idée du congé parental. Son parti y est favorable, mais pour une durée de 16 semaines seulement à se répartir entre les deux conjoints. Ce jeune papa d’un garçon de 4 mois a mesuré la nécessité de réaliser l’égalité dans le cadre de sa profession d’avocat. «Dans les cas de divorce, ce sont les couples fondés sur un modèle traditionnel de la famille qui aboutissent le plus souvent à des drames humains et financiers. Les pères sont malheureux et ruinés, tandis que les mères sont déconnectées du marché du travail et peinent à joindre les deux bouts malgré les pensions alimentaires qu’elles touchent», témoigne Philippe Nantermod. Pourtant, le PLR, opposé au développement de l’Etat social, ne veut pas aller au-delà des 16 semaines, une durée minimaliste qui choque la gauche.
Assurément, le congé parental constitue le modèle d’avenir, même s’il n’a pas passé la rampe en ce 11 septembre au Conseil national. Mathias Reynard (PS/VS) et Irène Kälin (Les Verts/AG) ont échoué avec leurs propositions d’un congé de 38, respectivement 52 semaines. «Pourtant, un congé d’un an ne placerait la Suisse qu’au milieu du peloton des pays de l’OCDE», a assuré l’Argovienne. Mais voilà: cette mesure coûterait entre 2,5 milliards pour les 38 semaines et 3,8 milliards pour les 52 semaines, des chiffres qui effraient le PLR et l’UDC.
Nouvelle initiative populaire annoncée
Il faudra pourtant attendre la prochaine législature pour accomplir de nouveaux progrès dans ce dossier. Le PS de même qu’une fondation spécialisée dans la récolte de signatures ont déjà annoncé le lancement d’une nouvelle initiative populaire en faveur d’un congé parental de 30 à 40 semaines. Cela, c’est de la musique d’avenir. Dans l’immédiat, le président de Travail. Suisse, Adrian Wüthrich, n’exclut pas de retirer son initiative pour favoriser une mise en place rapide d’un congé paternité de deux semaines à l’horizon des années 2021 ou 2022.
«Le congé paternité est un combat d’arrière-garde. Seul le congé parental assure une égalité des chances aux deux parents» ISABELLE CHEVALLEY, CONSEILLÈRE NATIONALE (VERT’LIBÉRAUX/VD)