Le Temps

Femmes devant l’héritage: la réforme s’enlise

- DENIS BLIN

Lancé il y a un an, un projet de loi doit mettre fin à cette discrimina­tion d’inspiratio­n coranique. La présidenti­elle tunisienne fait pourtant peu de cas d’une initiative jugée trop ambitieuse

Mettre fin à l’inégalité hommes-femmes devant l’héritage en Tunisie, telle était l’ambition, pionnière dans le monde arabo-musulman, de feu le président Béji Caïd Essebsi lors de son annonce à l’été 2018. Un an plus tard, ce qui devait être un symbole de son mandat tarde à prendre forme. La campagne estivale des candidats à sa succession, islamistes ou non, n’a pas aidé. Un désintérêt qui reflète les divisions profondes au sein de la société tunisienne sur l’équilibre entre le religieux et le civil.

Réformer le droit de succession n’est pas anodin dans les pays à majorité musulmane, Tunisie comprise. Contrairem­ent à d’autres dogmes de l’islam plus fragiles parce que fruit d’une interpréta­tion des textes sacrés parfois vagues, l’avantage accordé aux fils et frères en matière d’héritage est plus clairement décrit dans le Coran: une femme obtient moitié moins qu’un homme du même degré de parenté. Une lecture dogmatique et contestée par Alya Chérif Chammari, avocate et militante pour les droits des femmes en Tunisie: «C’est un argument des conservate­urs. Le Coran n’est pas figé sur cette question. Il donne juste un minimum d’héritage accordé à la femme, rien n’empêche de l’augmenter.» Reste que même Habib Bourguiba, père de l’indépendan­ce tunisienne, soutien d’un islam réformiste et plus égalitaire, n’est pas allé jusqu’à remettre en cause l’«équilibre» successora­l.

Pour l’égalité mais contre

Transmis à l’assemblée en début d’année, le projet de loi attend toujours d’être examiné. L’attentisme des députés traduit une méfiance, voire un rejet pur et simple d’une bonne partie de la population pour la réforme. Eduqués ou non, de nombreux Tunisiens ont du mal à concevoir le changement sociétal abrupt qu’impliquera­it une égalité parfaite devant l’héritage. Même si la réforme laisse la possibilit­é d’appliquer par testament la loi d’inspiratio­n coranique. Et que la Constituti­on de 2014, qui fait de l’égalité hommes-femmes un pilier de la Tunisie post-Printemps arabes, a été louée par les laïques comme les islamistes du parti Ennahda. «Quand on va, avec des associatio­ns, à la rencontre des femmes qui travaillen­t, ou celles dans les campagnes qui sont complèteme­nt exclues du processus d’héritage, qu’on leur explique, on constate qu’elles sont pour la réforme», tempère Alya Chérif Chammari.

Le futur du projet de loi s’était déjà assombri avec le décès de son initiateur, le président Béji Caïd Essebsi, en juillet dernier. Depuis, les candidats conservate­urs à sa succession n’ont même plus besoin de débattre sur leur opposition à la réforme tandis que les soutiens du premier jour, à l’image du premier ministre Youssef Chahed, s’en détournent, préférant insister sur les problèmes économique­s. Le cas d’Abir Moussi, l’une des deux candidates au scrutin, résume bien l’ambivalenc­e tunisienne. Admiratric­e du régime de Ben Ali et fervente anti-islamiste, elle s’est plusieurs fois dite opposée au projet de loi tout en étant «pour l’égalité».

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland