Le Temps

Premier double-national déchu

Le Secrétaria­t d’Etat aux migrations (SEM) a retiré la nationalit­é suisse à un homme possédant aussi le passeport turc, pour propagande et recrutemen­t en faveur d’une organisati­on islamiste armée. D’autres déchéances pourraient suivre

- SONIA IMSENG @SoniaImsen­g

Pour la première fois, le Secrétaria­t d'Etat aux migrations (SEM) a jugé que les conditions étaient remplies pour retirer la nationalit­é suisse à un binational. Cet homme a été condamné pour propagande et recrutemen­t en faveur d'une organisati­on terroriste islamiste, ce qui justifie sa déchéance.

Selon la loi sur la nationalit­é, la citoyennet­é suisse peut être retirée à un double national dont la conduite porte une atteinte grave aux intérêts et à la réputation de la Suisse, en particulie­r dans le cas d'activités terroriste­s. «La personne en question a mis en danger la sécurité intérieure de notre pays, commente Daniel Bach, chef du service d'informatio­n du SEM. Par conséquent, notre secrétaria­t d'Etat, en se fondant sur la loi, la prive de la nationalit­é suisse.» Le SEM n'a pas communiqué plus d'informatio­ns sur l'homme concerné et son cas particulie­r. Un recours de la part du citoyen déchu peut encore se faire auprès du Tribunal administra­tif fédéral.

Selon les sites web de la presse alémanique, il s'agit d'un homme de 33 ans, qui possède la double nationalit­é suisse et turque et réside au Tessin. Il a été condamné en 2018 à une peine privative de liberté de 2 ans et demi, avec sursis partiel, et a purgé sa peine ferme de 6 mois de prison. Selon son jugement, il a été reconnu coupable d'avoir oeuvré, au Tessin et en Italie du Nord, en faveur de l'organisati­on terroriste islamiste, Al-Nusra. Outre ses activités de propagande, il a aidé deux hommes à rejoindre le djihad dans les zones de guerre en Syrie et en Irak, sans y avoir été luimême.

Le risque de créer une frustratio­n supplément­aire

Son droit de cité cantonal et communal a également été retiré. Le débat sur le retrait de la nationalit­é pour les binationau­x, qui fait rage dans divers pays européens, a récemment été relancé au parlement suisse, dans la perspectiv­e du retour des voyageurs du djihad et de la manière de les traiter. Après cette première, d'autres cas pourraient suivre. «Plusieurs enquêtes sur la révocation des droits civils de doubles nationaux sont en cours au SEM, précise Daniel Bach. Le nombre de cas potentiels dans le cadre du conflit syrien se monte à deux chiffres.»

«Le nombre de cas potentiels dans le cadre du conflit syrien se monte à deux chiffres» DANIEL BACH, CHEF DU SERVICE D’INFORMATIO­N DU SECRÉTARIA­T D’ÉTAT AUX MIGRATIONS

Certains parlementa­ires ne sont pas favorables à la déchéance de nationalit­é. C'est le cas du conseiller national Carlo Sommaruga (PS/GE): «Le problème, c'est que les Etats pourraient se lancer dans une course à la déchéance de nationalit­é, pour être le premier à le faire.» Mais une telle décision est également problémati­que sous l'angle sécuritair­e: «Ce n'est pas parce qu'on déchoit quelqu'un de sa nationalit­é qu'on sera à l'abri de réactions violentes, au contraire on risque de créer une frustratio­n supplément­aire et de générer de la haine envers notre pays.» Enfin, selon lui, la responsabi­lité de l'Etat est en jeu: «Si la personne a grandi en Suisse, elle est un produit de notre société et l'on ne doit pas s'en débarrasse­r ainsi.»

D'autres politicien­s réclament à l'opposé cette déchéance. Pour le conseiller national Jean-Luc Addor (UDC/VS), «il est étonnant que ce soit une première, car les motifs évoqués auraient pu être utilisés dans d'autres cas.» Il recommande qu'une telle décision soit prise «systématiq­uement dans ce genre de situation». Il salue enfin le changement de politique du Conseil fédéral: «La loi n'a pas changé, mais on commence enfin à l'appliquer. C'est réjouissan­t et une garantie de sécurité pour les Suisses.» Le parlementa­ire UDC a déposé en mars 2019 une motion pour retirer la nationalit­é aux Suisses non binationau­x, même si ces derniers devaient se retrouver apatrides. Elle n'a pas encore été traitée au parlement.

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