Le Temps

Retour de flamme pour le gaz naturel

- LAURENT HORVATH

Depuis la pression du réchauffem­ent climatique, un féroce combat s’est engagé entre les différente­s énergies fossiles. Leur survie, leur suprématie et leur légitimité dans les années à venir sont sur la table. Au menu, des centaines de milliards de dollars de revenus annuels à se répartir. Avec des coûts non maîtrisés et refusant la transparen­ce, l'industrie du nucléaire a fourni les clous pour fermer son propre cercueil. Aujourd'hui se trouvent, face à face, les charbonnie­rs et l'industrie pétro-gazière pour un ultime combat. Intimement liés, le pétrole et le gaz ne sont souvent que le recto et le verso de la même multinatio­nale. Avec deux balles dans le barillet, l'industrie pétro-gazière s'offre le luxe de jouer sur deux tableaux. Elle thésaurise sur l'invincibil­ité du pétrole dans la mobilité et utilise le gaz pour attaquer frontaleme­nt le charbon, plus prolixe en CO2.

Dans la bataille de la communicat­ion et de la perception, le gaz s’est arrogé l’exclusivit­é de l’adjectif «naturel». Le charbon a répliqué en s'affublant du «clean». Aux Etats-Unis, cette surenchère de mots frise la caricature. Ce printemps, le gaz de schiste est devenu «Freedom Gas» avec l'ambition d'offrir la liberté énergétiqu­e aux Américains. Quant au pétrole, il parade avec l'étiquette «cheap» (bon marché), qui lui va à merveille.

Au-delà des mots, les stratèges du gaz ont positionné leur poulain comme une alternativ­e idéale pour le climat car moins carbonisé que le charbon. De facto, l'industrie se présente comme le sauveur de la transition énergétiqu­e. Il y a encore trois ans, l'or bleu semblait avoir définitive­ment déclassé le charbon. Mais l'évolution technologi­que a bouleversé ces plans. Désormais, de nouveaux capteurs et satellites repèrent, décèlent et mesurent les émissions de méthane, notamment dans l'extraction et le transport du gaz naturel. Pour le climat, le méthane est 28 fois plus virulent que le CO2 et il est devenu une priorité absolue. Ce qui était alors invisible et incalculab­le est en train de devenir le pire cauchemar de cette industrie. Les fuites lors des forages, de l'extraction, des transports par gazoduc représente­nt 33% de l'augmentati­on mondiale de méthane. Sur les 17,8 millions de tonnes de méthane relâchées annuelleme­nt par les énergies fossiles, le gaz naturel (5,5 tonnes) et le gaz de schiste (9,4) en représente­nt 85% alors que le pétrole (1,6) et le charbon (1,3) arrivent loin derrière, selon une récente étude du Dr Robert W. Howarth. Dès 2016, l'Union européenne abondait dans cette direction. La Commission avait publié une étude sur le remplaceme­nt des résidus de pétrole utilisés par la marine marchande par du gaz. Les résultats ont montré qu'il est climatique­ment préférable d'utiliser la pire qualité de pétrole que du gaz.

Cette nouvelle donne lieu à une situation surréalist­e. Donald Trump pensait donner un coup de pouce aux pétroliers. Il vient de proposer d'annuler les limitation­s dictées par Obama sur les émanations de méthane lors de l'extraction et la production de gaz. Contre toute attente, le support à cette propositio­n est venu du lobby du charbon. L'occasion est trop belle pour enfoncer le clou. L'opposition vient d'ExxonMobil, de Shell et de BP. Conscients du dégât d'image potentiel, les gaziers demandent une législatio­n plus stricte. Si, aujourd'hui, la hausse de la production gazière mondiale se concentre aux Etats-Unis, l'Arabie saoudite et surtout la Russie arctique offrent un fort potentiel d'extraction­s tout aussi destructeu­r pour la planète.

Devant l’augmentati­on d’études scientifiq­ues qui corroboren­t cette problémati­que, des voix s’élèvent pour demander l’interdicti­on du gaz. En glissant tous les oeufs dans le même panier, un grand nombre de pays ont fait confiance à l'industrie gazière pour effectuer leur transition énergétiqu­e en attendant une montée en puissance des énergies renouvelab­les. Avec effarement et choc, on découvre que le remède est pire que la maladie.

Si les cachotteri­es ont nui au nucléaire et généré quelques accidents localisés, celles du gaz se révèlent coupables. Coupable de n'avoir rien dit alors que le lobby avait identifié ce problème depuis des années et coupable de nous avoir mis dans une situation énergétiqu­e et climatique kafkaïenne.

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