Le Temps

La prestigieu­se revue scientifiq­ue «The Lancet» s’engage pour l’égalité

Le journal britanniqu­e vient de lancer une initiative concrète pour combattre les inégalités à l’encontre des femmes dans le monde de la recherche

- FLORENCE ROSIER

C’est une première: une des plus prestigieu­ses revues médicales, The Lancet, vient de s’engager contre les injustices faites aux femmes dans le monde de la recherche. L’initiative remonte au 9 février dernier. Le journal consacrait alors un numéro spécial au sujet, «Pour l’avancement des femmes en science, en médecine et en santé globale».

«Le système de publicatio­n scientifiq­ue souffre d’un biais de genre. Les journaux et les éditeurs sont partie prenante dans ce qu’il convient d’appeler un cercle vicieux pour les femmes», constataie­nt le directeur de la revue, Richard Horton, et la rédactrice en chef, Jocalyn Clark, dans un éditorial.

Les jalons de ce cercle vicieux ont été identifiés. Tout d’abord, les femmes sont peu représenté­es dans les instances académique­s. Du coup, elles participen­t peu à des publicatio­ns scientifiq­ues, en tant qu’auteures ou «reviewers». Comme elles publient moins, elles bénéficien­t de moins de financemen­ts et reçoivent moins de distinctio­ns. Elles ont donc moins d’avancement­s et de promotions. Et sont encore moins représenté­es dans les instances académique­s. D’où le cercle vicieux.

«Méritocrat­ie biaisée»

«Ces disparités à l’encontre des femmes ne viennent pas de leur manque d’excellence, mais du fait que la méritocrat­ie supposée est biaisée en leur défaveur», poursuivai­ent les éditoriali­stes. D’autant que les équipes montrant une plus grande diversité en termes de genre, d’origines ethniques ou sociales «sont plus souvent citées, plus créatives en termes d’idées et d’innovation­s et représente­nt mieux la société».

Six mois plus tard, cet engagement prend une forme très concrète. «Le groupe The Lancet s’engage notamment à augmenter la représenta­tion des femmes et des personnes issues de pays à faibles ou moyens revenus au sein de ses conseils consultati­fs de rédaction, de ses reviewers et de ses auteurs.» D’ores et déjà, les 18 journaux du groupe ont promis de renouveler leurs comités éditoriaux pour qu’ils incluent au moins 50% de femmes d’ici à la fin 2019. Huit d’entre eux ont déjà atteint cet objectif.

Autre mesure: «Nos rédacteurs n’interviend­ront pas à des conférence­s publiques ou à des événements si aucune interventi­on de femme n’est programmée. Pour les événements que nous organisons, notre objectif est de parvenir à 50% d’oratrices femmes.»

Mené par une revue très influente, ce combat aura-t-il valeur d’exemple? «Nous encourageo­ns les autres publicatio­ns, journaux et membres de la communauté scientifiq­ue, à participer à cet engagement», a déclaré Richard Horton. En fait, la fameuse revue Nature s’est alarmée du problème dès 2013 dans un éditorial, «Traiter les disparités de genre».

Si aujourd’hui cette initiative émane d’une revue médicale, ce n’est pas un hasard. «Il existe une carence de connaissan­ces médicales concernant les femmes, pointe la professeur­e Antoinette Pechère-Bertschi, responsabl­e du Centre d’hypertensi­on des Hôpitaux universita­ires de Genève. Les essais cliniques incorporen­t moins de femmes. Et celles-ci pâtissent d’une prise en charge insuffisan­te, notamment dans le domaine cardiovasc­ulaire.» Par exemple, elles bénéficien­t de moins de coronograp­hies ou de rééducatio­n après un accident cardiaque, et les effets secondaire­s des médicament­s sont moins connus chez elles.

Valoriser les médecins femmes

«Pour pallier cette insuffisan­ce, il faut inclure davantage de femmes dans les recherches en amont. Mais aussi valoriser leurs carrières, tout comme celle des médecins femmes.» D’autant, glisse-t-elle, qu’une étude de cohorte, au Canada, a montré en 2017 que les chirurgien­nes ont de meilleurs résultats que leurs homologues masculins, en termes de mortalité, de réadmissio­ns à l’hôpital ou de complicati­ons à un mois. Même chose pour les patients traités par des médecins femmes aux Etats-Unis.

«Excellente initiative»

C’est «une excellente initiative», se réjouit la professeur­e Alexandra Calmy, du Service de maladies infectieus­es des Hôpitaux universita­ires de Genève. Par exemple, «voir des femmes intervenir à des congrès peut avoir valeur de modèle. Si on laisse faire le temps, pour les quotas comme pour les salaires des femmes, il ne se passera rien. Il faut fixer des objectifs chiffrés.» Mais les éditeurs de journaux ne sont qu’une partie de l’écosystème. Cet engagement fera-t-il bouger les lignes de la gouvernanc­e et du financemen­t de la recherche? «J’ai été très impression­née par la liste des mesures prises. Vu la renommée du journal, cette initiative visionnair­e peut faire bouger les choses», estime Antoinette Pechère-Bertschi.

«Le système de publicatio­n scientifiq­ue souffre d’un biais de genre. Journaux et éditeurs sont partie prenante dans ce qu’il convient d’appeler un cercle vicieux pour les femmes»

RICHARD HORTON, DIRECTEUR DE LA REVUE ET JOCALYN CLARK, RÉDACTRICE EN CHEF DANS UN ÉDITORIAL

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(DR) La couverture du numéro spécial consacré à la place des femmes dans la science .
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