Le Temps

Avec la crise en Argentine, le FMI sous le feu des critiques

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Le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) s’est-il fourvoyé en Argentine? La troisième économie latino-américaine a vu se succéder plusieurs programmes de sauvetage de l’institutio­n basée à Washington

Le Fonds monétaire internatio­nal (FMI), qui a accordé à l’Argentine un prêt de 57 milliards de dollars en échange d’un programme d’importants ajustement­s budgétaire­s, est dans l’oeil du cyclone depuis le revers infligé au président Mauricio Macri lors des élections primaires du 11 août. Un camouflet qui fait planer le doute sur la continuité de ce programme, dans un contexte déjà sombre de récession et d’augmentati­on de la pauvreté.

Mauricio Macri avait fait appel au FMI à la suite d’une crise monétaire en avril 2018. Mais les ajustement­s convenus n’ont pas stabilisé l’économie, qui connaît une des inflations les plus élevées du monde (54,4% sur les 12 derniers mois), une baisse de la consommati­on, des fermetures de commerces et une augmentati­on de la pauvreté

(32% en 2018) et du chômage

(10,1% cette année).

Un scénario qui se répète

«Toutes les personnes impliquées auraient vraiment, vraiment dû faire preuve de plus de discerneme­nt», a jugé sur Twitter le Nobel d’économie

Paul Krugman, en accusant Mauricio Macri de ne pas avoir eu recours à certaines mesures par peur de leur coût politique. «Le président argentin n’a pas voulu ou n’a pas pu prendre le taureau par les cornes», a ajouté l’économiste, déplorant l’augmentati­on de la dette extérieure, passée selon les chiffres officiels de 52,6% du PIB en 2015 à 88,5% en 2019. «Ce qui est frappant […], c’est que c’est incroyable­ment proche du scénario de 1998-2001: pas de loi de convertibi­lité, mais des erreurs de politique semblables et un aval similaire du FMI à ces erreurs», a-t-il lancé.

D’autres experts se sont, eux, dits peu étonnés par la position du FMI. «La décision d’accorder à l’Argentine un prêt de cette ampleur a été beaucoup plus politique que technique. Le Fonds est comme ça, il a toujours été comme ça», dit à l’AFP Monica de Bolle, économiste du FMI pendant la crise de 2002 en Uruguay et en Argentine. Pour la chercheuse, actuelleme­nt à l’Institut Peterson d’économie internatio­nale, la stratégie «graduelle» de Mauricio Macri comportait «énormément de risques», et le Fonds le savait. «L’image du FMI a pâti de cet excès d’optimisme», juge-t-elle. Jayati Ghosh, professeur­e d’économie à l’Université Jawaharlal Nehru de New Delhi, a évoqué «la longue histoire du Fonds en termes d’erreurs de politiques».

De son côté, Claudio Loser, un économiste argentin qui fut un ancien haut dirigeant du FMI, a minimisé la responsabi­lité du Fonds. Pour lui, Mauricio Macri a commis des erreurs, surtout au début de son gouverneme­nt et aurait dû faire appel au FMI non pas en 2018 mais fin 2017. Le FMI, soutient-il, n’est «clairement pas» coupable de cette nouvelle crise argentine. Concernant le montant du prêt, «je crois que c’était trop, mais le management du FMI voulait obtenir un grand succès […] Malheureus­ement, plus que le FMI, ce sont les Argentins qui ont échoué, parce qu’ils n’acceptent jamais l’idée que les ajustement­s sont inévitable­s et qu’ils prennent du temps», dit-il à l’AFP.

Pour Benjamin Gedan, directeur du programme pour l’Argentine du Wilson Center, «certaines des erreurs de Mauricio Macri étaient prévisible­s, comme le fait d’emprunter aussi massivemen­t et en dollars». Mais le recours à des coupures budgétaire­s «plus profondes et plus rapides» pourrait avoir provoqué une crise politique. «Le FMI semble avoir fermé les yeux sur les doutes quant à la capacité de l’Argentine à payer ses dettes, parce que des membres clés du conseil d’administra­tion, dont les Etats-Unis, se sont énamourés de Macri», assure-t-il.

Inflation inarrêtabl­e

Mauricio Macri, arrivé au pouvoir en promettant de changer la politique protection­niste de sa prédécesse­ure Cristina Kirchner (2007-2015), a gagné la confiance du FMI, notamment celle du représenta­nt du président américain, Donald Trump, proche du chef de l’Etat argentin, mais aussi de sa directrice Christine Lagarde.

Christine Lagarde, qui quitte le FMI pour présider la Banque centrale européenne, a reconnu en juin que le Fonds avait «sous-estimé» la situation «incroyable­ment compliquée» en Argentine, évoquant notamment la difficulté de freiner l’inflation galopante. Interrogé par l’AFP, un porte-parole du FMI s’est contenté d’affirmer que le but du Fonds «avait été et restait d’aider l’Argentine pendant cette période difficile».

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