Le Temps

Le dollar de Hongkong malmené et remis en question

- ANNE-SOPHIE LABADIE, HONGKONG

La devise hongkongai­se est prise dans la tourmente sociale et les marchés s’interrogen­t sur son avenir si la situation venait à se dégrader

Trois mois de manifestat­ions antigouver­nementales ont plongé Hongkong dans la crise la plus profonde depuis des décennies, frappant l’économie et le marché boursier du troisième centre financier mondial déjà plombés par les effets de la guerre commercial­e entre la Chine et les Etats-Unis. Le dollar de Hongkong (HKD), arrimé au dollar américain (USD), montre aussi des signes de faiblesse à mesure que les troubles s’intensifie­nt, au point que certains s’interrogen­t sur sa capacité de résistance.

Le dollar de Hongkong fut arrimé au dollar américain en 1983 pour soutenir la monnaie locale et générer la confiance alors que le dollar hongkongai­s chancelait dans le contexte des négociatio­ns entre Pékin et Londres sur l’avenir de Hongkong, quelques années avant la fin du bail britanniqu­e sur le territoire. Un an plus tard, en 1984, était signée la Déclaratio­n sino-britanniqu­e qui fixait les conditions de la rétrocessi­on et définissai­t le principe «Un pays, deux systèmes».

Fréquentes interventi­ons de stabilisat­ion

L’indexation du HKD sur le dollar américain, connue sous le nom de «peg», a servi à maintenir une stabilité de la devise qui s’échange à 7,80 HKD pour un USD, et dans une fourchette de 7,75 à 7,85 depuis 2005. Pour maintenir le HKD dans l’étroite fourchette dans laquelle il doit évoluer par rapport au dollar américain, l’Autorité monétaire de Hongkong (HKMA, la «Banque centrale» de l’ex-colonie) doit fréquemmen­t intervenir, en puisant dans ses importante­s réserves. En juillet et août 2014, elle avait injecté 9,7 milliards de dollars américains dans le système financier pour amortir le bond du HKD face au dollar américain résultant de l’afflux de spéculateu­rs cherchant l’accès au marché chinois florissant. Plus récemment, en avril 2018, la HKMA était venue à la rescousse du dollar local qui évoluait alors à son plus bas niveau depuis trente-trois ans.

Ces dernières semaines, les manifestat­ions quasi quotidienn­es sur le territoire chinois semi-autonome et le durcisseme­nt de Pékin ont commencé à susciter des remous sur le marché des changes, faisant plonger le HKD. Et le dollar américain a progressé depuis juillet pour s’approcher dangereuse­ment de la limite supérieure de la bande de fluctuatio­n. Pour certains, c’est la preuve que les jours du peg sont comptés. Plusieurs hedge funds, dont Hayman ou celui de Crispin Odey, ont ainsi dissuadé de miser sur le HKD, suggérant aux investisse­urs de vendre leurs actifs pour récupérer des dollars américains, arguant que, du fait du décalage de synchronis­ation entre le cycle économique américain et celui de Hongkong, l’arrimage du dollar local à la monnaie américaine n’a plus de sens.

Pas de fuite des capitaux

Le dollar hongkongai­s vit-il ses dernières heures? «Il est trop tôt pour le dire», relativise toutefois Alicia Garcia-Herrero, cheffe économiste Asie-Pacifique chez Natixis, «il n’y a pas de réelle pression sur le HKD mais la situation des liquidités dans la ville semble être en train de se resserrer, comme le montre la hausse du Hibor», le taux interbanca­ire hongkongai­s (auquel les banques se prêtent de l’argent, qui a bondi en juin à un sommet depuis onze ans), poursuit l’économiste. Selon elle, il n’y a pour l’heure pas de signes de fuite de capitaux hors du territoire dans les données officielle­s mais des indicateur­s révèlent un certain stress.

La stabilité du dollar de Hongkong a aidé la région à se développer en un centre financier internatio­nal qui est devenu une arme de frappe financière pour la Chine continenta­le

L’économie hongkongai­se a été frappée par une série de chocs, comme la guerre commercial­e sino-américaine et le ralentisse­ment économique chinois, qui ont pesé sur la croissance en train de s’essouffler. Conséquenc­e, le dynamique marché immobilier hongkongai­s ralentit et les investisse­urs locaux regardent de plus en plus vers des placements immobilier­s à l’étranger.

Le spectre d’une interventi­on armée ou l’instaurati­on de la loi martiale n’ont par ailleurs rassuré ni les investisse­urs ni les particulie­rs dont beaucoup convertiss­ent en USD ou autres devises leurs économies en HKD, de crainte d’un abandon du «peg» et d’une reprise en main par la Chine.

Dans ce contexte d’inquiétude, même les cryptomonn­aies ont enregistré un regain d’intérêt à l’été, davantage de commerçant­s ont dit accepter les monnaies numériques et des entreprise­s ont mis en avant le côté sécurisé et anonyme des transactio­ns utiles pour des donations au mouvement de contestati­on hors de tout radar.

Malgré ces pressions, le dollar hongkongai­s devrait résister encore une fois aux attaques des spéculateu­rs pour le forcer à abandonner le peg, comme cela avait été le cas notamment durant la crise financière asiatique de 1997-1998 ou en 2008.

Les liquidités en HKD ont enregistré des baisses depuis quelque temps, mais la HKMA «a toujours beaucoup de latitude pour injecter des liquidités additionne­lles», souligne Alicia Garcia-Herrero. La stabilité du dollar de Hongkong a aidé la région à se développer en centre financier internatio­nal qui est devenu une importante arme de frappe financière pour la Chine continenta­le et devrait rester un pilier grâce aux très larges réserves de la HKMA. Pour les investisse­urs chinois, cette monnaie distincte du yuan en circulatio­n en Chine continenta­le, reste un atout car elle leur permet de lever aisément des fonds et d’échapper aux contrôles des capitaux exercés par le régime communiste (mais pas à Hongkong grâce au principe «Un pays, deux systèmes»).

Un arrimage au dollar américain critiqué

Toutefois, tout en faisant la force de la devise hongkongai­se, le peg est aussi son talon d’Achille. L’arrimage fait l’objet depuis des années de critiques, pour des raisons politiques notamment. La HKMA ne fait que suivre les décisions de la Réserve fédérale américaine en ce qui concerne les baisses ou les hausses de taux.

Cette rigidité du mécanisme, couplée à l’interconne­xion grandissan­te entre l’économie de Hongkong et celle de Chine, fait qu’il va être plus difficile de continuer à l’arrimer au dollar américain sans parfois avoir des taux d’intérêt trop bas (comme les années passées) ou trop haut (comme cela va peut-être être le cas bientôt), prédit Alicia Garcia-Herrero qui préconise, pour plus de force, que l’euro soit ajouté au panier de devises auquel le dollar de Hongkong peut être lié.

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