Une croissance de A à Zoug
POWER-PLAY 3/5 Finaliste malheureux du dernier championnat, le club de Suisse centrale met tout en oeuvre pour remporter le deuxième titre de son histoire. Un nouveau centre d’entraînement futuriste, prévu pour 2020, devrait faciliter les desseins du président-mécène Hans-Peter Strebel
Depuis 2006 et le dernier titre de Lugano, la suprématie en National League ne fluctue plus qu’entre Berne, Zurich et Davos. Mais tandis qu’une ère se termine dans les Grisons, symbolisée par le départ du mythique entraîneur Arno Del Curto en 2018, une autre s’amorce dans un des cantons les plus avantageux du pays sur le plan fiscal. Vice-champion de Suisse en 2017 et en 2019, vainqueur de la Coupe de Suisse cette année, l’Eissportverein Zug (EVZ) fait désormais clairement partie du gotha du hockey suisse.
La concurrence observe avec une évidente gourmandise ce qui se passe à Zoug. Directeur général de Fribourg-Gottéron, Raphaël Berger faisait partie de l’épopée zougoise conclue par un titre national en 1998. Et même si ses journées sont actuellement rythmées par le chantier de la nouvelle patinoire fribourgeoise attendue pour la saison prochaine, l’ancien défenseur a toujours suivi avec attention le développement de l’organisation de Suisse centrale. «Zoug a toujours eu des moyens. Lorsqu’on a fait le titre en 1998, on possédait la meilleure équipe parce qu’on avait les joueurs qui valaient le plus. Il y a ensuite eu une longue période de transition et la nouvelle patinoire [la Bossard Arena, inaugurée en 2010] a donné une belle impulsion, tout comme l’arrivée en 2015 du nouveau président Strebel. Il a encore davantage structuré les choses, avec la création de l’académie qui évolue en Swiss League [deuxième division].» Il ne manque finalement qu’un deuxième titre de champion pour valider le travail accompli au fil des années.
Mécène au grand coeur
Au bénéfice d’une surface financière importante, l’EVZ s’est posé en acteur majeur sur le marché des transferts. Ainsi, le club a-t-il pu se payer pour cinq ans le meilleur gardien du pays, Leonardo Genoni (arrivé cet été de Berne), et pour quatre saisons le meilleur buteur du dernier championnat, Grégory Hofmann (ex-Lugano).
Les fonds proviennent en grande partie de l’homme qui a pris la tête de l’organisation en 2015: Hans-Peter Strebel, ou «HP» pour les intimes. Ce multimillionnaire argovien, domicilié à Lucerne, a construit sa fortune dans l’industrie pharmaceutique. Elle est aujourd’hui estimée entre 350 et 400 millions de francs. Ce docteur en sciences naturelles et pharmacien diplômé a notamment inventé des médicaments contre le psoriasis et la sclérose en plaques.
Joueur de saxophone à ses heures perdues, grand amateur de jazz, «HP» fait l’unanimité. «J’apprécie beaucoup l’homme, révèle Raphaël Berger. C’est un monsieur d’une grande simplicité qui ne se prend pas la tête malgré sa réussite. Il vient une fois par année nous voir à Fribourg et il veut toujours manger une fondue avec nous.»
Voilà sans doute pourquoi cet entrepreneur, fan de Zoug depuis les années 1960, se démarque des autres mécènes. Il témoigne d’une grande empathie pour ses semblables et c’est grâce à son argent que son club disposera en 2020 d’un centre d’entraînement unique en Europe, baptisé OYM. Derrière cet acronyme se cachent trois mots bien connus des spécialistes d’athlétisme: on your marks, «à vos marques» en VF. Un projet pharaonique devisé à 100 millions de francs, pensé pour améliorer le quotidien des athlètes. Si le sport tient forcément une place de choix dans ce centre futuriste de haute performance qui ouvrira ses portes à Cham l’an prochain, le président espère aussi pouvoir y organiser des concerts dans un auditorium qui peut accueillir des séminaires.
Nouveaux joueurs séduits
Recrue phare de l’intersaison avec Leonardo Genoni, Grégory Hofmann est particulièrement séduit par le projet zougois. Comme son nouveau coéquipier Jérôme Bachofner, débarqué de Zurich, le Jurassien bernois a rejoint la Suisse centrale motivé par l’environnement professionnel de l’EVZ. «J’ai eu la chance de pouvoir visiter le chantier avec le président, le directeur sportif Reto Kläy et l’entraîneur Dan Tangnes. C’était assez fou, explique l’ancien Luganais. L’un des avantages, c’est d’avoir de la glace douze mois par an. Et pour quelqu’un comme moi qui apprécie de bosser hors saison pour ne pas perdre mon patinage une fois que l’on reprend au mois d’août, ce nouveau centre sera parfait.»
Le meilleur buteur de la dernière saison détaille d’autres aspects du complexe: «En plus d’une patinoire capable de changer de dimension rapidement, soit en taille européenne, soit en taille NHL, on dispose aussi de vestiaires et d’une salle de force. Et puis il y a des zones imaginées pour améliorer son tir ou encore le slide, un tapis roulant très utile pour perfectionner son coup de patin.»
Raphaël Berger applaudit le développement zougois, tout en tempérant le modèle économique: «Tous les dirigeants de National League voudraient bénéficier de la même structure, mais il faut avoir les moyens. Et ces moyens n’existent que par le mécénat. C’est notamment grâce à cet apport que Zoug a pu monter son académie. Ce modèle de business n’est pas viable à long terme, mais l’EVZ prend une avance phénoménale et son organisation actuelle est assez exemplaire.»
Coprésidente de Bienne, Stéphanie Mérillat valide, elle aussi, le travail effectué à la Bossard Arena: «Leurs succès ne me surprennent pas. C’est une politique des petits pas. Ils veulent le titre, et ils y arriveront.» Le mécénat lui inspire aussi une petite réticence. Mais… «en toute honnêteté, si un gros sponsor souhaite mettre un montant à sept chiffres chez nous, je ne vais pas dire non. Cela dit, il faut faire attention de ne pas avoir trop de clubs aussi riches sous peine d’avoir au final une ligue à deux vitesses.»
«Revers de la médaille», selon Raphaël Berger, le statut de l’Eissportverein Zug lui impose désormais des résultats à la hauteur des moyens engagés, ce qui induira une certaine pression pour aller chercher le titre. Et la vérité de la glace n’est clairement pas toujours celle du béton.
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Au bénéfice d’une surface financière importante, l’EVZ s’est posé en acteur majeur sur le marché des transferts