Sorcelleries helvétiques au Théâtre Saint-Gervais
Mathieu Amalric, Marthe Keller, Jean-Quentin Châtelain, Eveline Murenbeeld devraient ensorceler la maison genevoise. Sa directrice, Sandrine Kuster, explique ses choix
Après la rumba de l’été, les nuits genevoises s’électrisent. Sandrine Kuster, elle, a le nez qui dodeline comme «ma sorcière bien-aimée», cette héroïne de feuilleton qui dissimule ses pouvoirs sous un air de maîtresse de maison parfaite. Le festival de La Bâtie bat son plein – jusqu’à dimanche encore - et le public afflue au Théâtre Saint-Gervais. La directrice de la maison raffole de ces lancements de saison où chaque spectacle paraît crucial.
Des noms? Marthe Keller prêtera voix à une vache de l’Emmental en face de Mathieu Amalric qui mugira en taureau libidineux, sur Avant, texte d’Antoine Jaccoud – lecture, les 21 et 22 septembre. Le jeune Romain Daroles – du panache, de la verve – et Robert Cantarella ressusciteront samedi prochain l’esprit de l’écrivain-diariste Paul Léautaud, neuf (!) heures de causerie radiophonique. Titre de cette logorrhée vénéneuse et inspirée: Moi-même, je me suis déçu. A noter qu’on entre et qu’on sort selon son bon plaisir.
Ça, c’est pour l’immédiat. Mais dans les stations de choix, on pourrait encore citer l’ascension poétique proposée par la Genevoise Eveline Murenbeeld, artiste aussi délicate que secrète. Elle reviendra en décembre à l’enseigne des Basors, compagnie qui a marqué la fin des années 1990, avec Le monde est rond, texte à hauteur d’enfance de l’Américaine Gertrude Stein. En chasseurs de trésors, les acteurs Julie Cloux et Christian Scheidt devraient faire merveille.
Pulsions suisses
La couleur de la saison? Locale, tiens. «Le vivier suisse, romand en particulier, est exceptionnel, souligne Sandrine Kuster qui, comme son prédécesseur Philippe Macasdar, baroude beaucoup en Suisse et en Europe à l’affût des singularités. Je n’ai pas décidé de diminuer les accueils venus d’ailleurs, mais il se trouve que nos créateurs inventent des langages qui les distinguent, comme l’atteste le succès de la Sélection suisse en Avignon.»
Autre ligne notable: les vicissitudes d’un âge mûr qui vire suri. Antoine Jaccoud, encore lui, s’est penché sur ces canapés où l’échangisme est un sport et un antidépresseur. Son Sexe est dégoûtant est monté par Matthias Urban, avec notamment Shin Iglesias, Roberto Molo et Isabelle Caillat. Marion Duval, Camille Mermet et Aurélien Patouillard seront quant à eux rosses et crus au service de l’Autrichien Thomas Bernhard et de son Avant la retraite. Un frère et deux soeurs, rances comme il se doit chez Bernhard, ruminent une nostalgie brune.
«L’intimité? On a réalisé qu’un certain nombre de spectacles abordent la question de la sexualité et du vieillissement. Mais je ne travaille jamais sur une thématique. La volonté que j’avais cette saison, c’était de m’adresser aussi aux jeunes. Nous accueillerons en janvier, avec le festival Antigel, Jonathan Capdevielle et son Rémi. Pour la première fois, cet artiste à l’univers souvent perturbant proposera une pièce à des enfants. J’ai le désir de familiariser le public de demain avec des spectacles plus atmosphériques et poétiques que narratifs.»
Le démon de l’exil
Le conseil de l’ami pour terminer? Ne pas manquer ce démon de Jean-Quentin Châtelain au service de Manuel d’exil (Folio), récit allume-feu en bordure de spleen. L’écrivain Velibor Colic y raconte le vague à l’âme d’un Rimbaud bosniaque, déserteur de l’armée et réfugié en France. La Genevoise Maya Bösch signera la mise en scène. «L’un des atouts de notre salle est que le public fait corps avec les comédiens», souffle Sandrine Kuster. Les nuits de «ma sorcière bien-aimée» pourraient vous faire perdre corps et tête. Le théâtre, c’est parfois magique.
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«Le vivier suisse, romand en particulier, est exceptionnel»