Le Temps

«The Spy», l’espion qui s’aimait

- NICOLAS DUFOUR @NicoDufour

OCS et Netflix montrent une série sur le parcours, réel, d’un espion israélien incarné par Sacha Baron Cohen, qui, dans les années 1960, a gravi tous les échelons de la hiérarchie en Syrie. Jusqu’à se brûler. Une mini-série abordable

C’est une vie grandiose jusqu’à la chute, que le scénariste cristallis­e par un beurrier. Couple amoureux et agité, l’Israélien d’origine égyptienne Eli Cohen (Sacha Baron Cohen) et sa femme Nadia (Hadar Ratzon-Rotem) se réconcilie­nt parfois en pleine nuit en sortant du frigo le beurre dans sa plaque à couvercle blanc, et en grignotant des tartines. Plus tard, au pire de sa mission d’espion en Syrie, Eli sort le beurrier de son frigo, quand Nadia le fait aussi à Tel Aviv.

Créée, coécrite, réalisée et coproduite par l’Israélien Gideon Raff, qui avait conçu Prisoners of War devenue Homeland aux EtatsUnis, The Spy, en ce moment sur OCS et Netflix, raconte la vie d’Eli Cohen dès son ascension en 1961, soit la date de son entrée dans une autre identité. La mini-série s’appuie sur le livre, paru en français, L’Espion qui venait d’Israël.

D’abord, le séjour en Argentine

Eli Cohen a postulé à plusieurs reprises pour intégrer le Mossad. Sous la pression des attaques incessante­s à la frontière syrienne, le chef d’unité, qu’incarne l’excellent Noah Emmerich (naguère dans The Truman Show et The Americans) cède et accepte d’enrôler Eli. Celui-ci est envoyé en Argentine où il peut mettre le pied dans la diaspora arabe; une manière indirecte de s’approcher des Syriens.

Passant pour un riche homme d’affaires, il obtient l’accès au pays récemment libéré de la tutelle française. Eli ne rate aucune occasion de s’approcher de dignitaire­s et de caporaux syriens, par le biais de proches. Il se fait même amener sur le plateau du Golan, à la frontière face à l’ennemi Israël, zone interdite. Il propose d’offrir des arbres d’eucalyptus pour apporter de l’ombre aux soldats postés en faction.

Il photograph­ie à tout-va et tapote avec frénésie sur son manipulate­ur morse. A Tel-Aviv, son responsabl­e s’en inquiète: il en fait trop. Après un coup d’Etat, il devient conseiller personnel du nouveau président. Un apogée pour le Mossad, une histoire rare dans la légende de l’espionnage moderne. Son morse le trahira, il est inculpé en 1965, provoquant un séisme dans cette Syrie qui l’avait tant apprécié.

Sacha Baron Cohen, de marbre à dessein

Sacha Baron Cohen incarne le personnage historique avec une raideur adéquate. L’auteur ne s’embarrasse pas trop de psychologi­e: la mini-série commence par l’enrôlement d’Eli, on ne s’appesantit pas sur sa volonté presque désespérée de faire l’espion. Tout au plus la relie-t-on à son passé en Egypte – «Juif mais quand même Arabe» –, donc une obsession d’intégratio­n. Eli Cohen a brûlé toutes les étapes et pris tous les risques, il est monté très haut avant de se brûler, comme le papillon qui volette dans les épisodes et au générique.

Le feuilleton aurait pu être ardu, situé dans une période explosive et complexe – comme toujours dans ce coin du monde – de l’histoire du Moyen-Orient. Au fil des chapitres, on voit que Gideon Raff a tenu à rester intelligib­le, conservant la hauteur humaine de ce drame. On peut y voir une volonté de faciliter l’export – les Français d’OCS ont mis des billes dans l’entreprise –, mais cette simplicité du propos constitue une bonne surprise, et elle n’empêche pas la découverte d’un épisode de la longue tension régionale autour d’Israël, certes avec un point de vue marqué. Le scénariste demeure proche de son héros et de sa femme, jusqu’à la victoire posthume, durant la guerre des SixJours. Quand les eucalyptus ont servi de cibles pour Tsahal.

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