La fraude scientifique de deux Suisses
Son effet devait être radical auprès des porteurs de la malaria. La Malachlorite, prétendait une étude, élimine les symptômes de la maladie ■ La revue scientifique qui avait publié cette recherche en 2018 a pourtant dû se rendre à l’évidence: ses auteurs l’ont dupée, les faits rapportés sont faux ■ Parmi les fraudeurs se trouvent deux scientifiques suisses. Les deux se disent membres d’institutions, à Davos et à Lucerne, qui restent introuvables ■ Aucun des deux n’a répondu à nos sollicitations. La relecture de l’étude par des pairs s’était faite en dix jours. Trop peu pour une révision sérieuse
En 2018, Hans-Peter Strobel et Olivia Weber vantaient dans les colonnes d’une revue spécialisée les vertus d’un produit miracle, la Malachlorite, administré à 500 patients au Cameroun. Problème: aucun test n’a jamais été mené et tous les résultats sont faux
Retracted. Ce mot anglais (qui signifie «retiré») est le cauchemar de toute la communauté scientifique. S’il est apposé sur un article, cela indique que celui-ci a été annulé car il manquait d’informations, contenait des erreurs… ou pire. Cet été, le mot de la honte a été mis sur une étude parue en 2018 dans la revue GSC Biological and Pharmaceutical Studies. Avec la mention suivante: «Les éditeurs ont récemment été alertés par un lecteur que les faits rapportés dans ce texte sont faux et qu’aucune étude n’a en réalité été menée par les auteurs. Un examen attentif laisse soupçonner une activité douteuse suggérant que les données ont été manipulées ou carrément inventées.»
Effets miracles
La publication traitait de la Malachlorite, une substance prétendument testée au Cameroun sur 500 patients atteints de malaria. Selon l’article, le traitement, composé de chlorite de sodium, d’acide citrique et d’un extrait d’artémisinine, avait été administré trois fois par jour pendant huit jours, avec des effets miracles, puisque les symptômes de la malaria avaient tout simplement disparu…
Ce que cette étude nomme Malachlorite est plus connu sur internet sous le nom de «solution minérale miracle», vendue par nombre de sites fumeux comme un «détoxifiant» très efficace, mais en réalité très dangereux pour l’organisme. L’Institut suisse des produits thérapeutiques Swissmedic a donné l’alerte à ce sujet pour la première fois en 2010, en stipulant que cette solution chimique, non commercialisable en Suisse, est «généralement utilisée pour désinfecter l’eau. […] En cas de prise orale, cela peut entraîner des troubles gastro-intestinaux de degré et de gravité variables, pouvant aller jusqu’à mettre la vie en danger et nécessiter une hospitalisation.»
Pourquoi cette étude est-elle parue malgré ses incohérences? Et quel était l’objectif caché de ses auteurs? Son principal signataire, le chercheur allemand Enno Freye, ne s’est pas exprimé auprès de Business Insider, qui a enquêté sur cette affaire. L’Université Heinrich-Heine de Düsseldorf, où il exerçait comme professeur, lui a retiré son titre au printemps, quand les premiers doutes sont apparus sur la véracité de son travail.
Ses coauteurs, tous deux Suisses, gardent aussi le silence, malgré les tentatives de contact téléphonique répétées du Temps. Le premier, Hans-Peter Strobel, se présente comme lié au «département du développement de l’énergie de Davos», une structure impossible à trouver sur le Net. Le Registre du commerce le décrit cependant comme administrateur des laboratoires Galenic Developments, destinés au développement de principes actifs, ainsi que comme gérant d’une pharmacie Amavita à Davos.
L’autre coauteure est une certaine Olivia M. Weber, qui exercerait au «Centre des nouvelles stratégies thérapeutiques», à Lucerne – une institution inconnue du Temps. Selon son profil LinkedIn, cette scientifique est fondatrice de l’entreprise Light Matrix Switzerland, à Gersau, désormais radiée du Registre du commerce. Un article du Tagblatt paru en 2008 la décrit comme une «thérapeute exerçant avec la lumière». Elle non plus n’a pas répondu à notre message, envoyé sur son profil LinkedIn, seule source de contact possible à notre connaissance.
Dès le début, cette étude semblait sujette à caution, soupçonne Frédéric Schütz, statisticien à l’Université de Lausanne, qui s’intéresse de près à ces questions de «fake science». «Certes, cette revue n’est pas connue, relève-t-il. Mais surtout, la relecture de l’étude s’est effectuée en dix jours, selon ce qui est écrit dans l’article. C’est beaucoup trop rapide pour permettre une révision sérieuse par les pairs!»
Si la communauté scientifique a démasqué les fraudeurs, l’histoire de la «solution minérale miracle» est loin d’être finie. En Ouganda, le Britannique Sam Little a été incarcéré au printemps pour avoir massivement distribué ce produit, ce qui a entraîné l’intoxication de près de 50000 personnes. Il aurait agi, se justifie-t-il, en suivant les consignes du pasteur américain Robert Baldwin, qui a importé la substance depuis la Chine.
Dans une vidéo mise en ligne sur YouTube, on peut aussi voir un certain Klaas Proesmans distribuer des comprimés de «solution minérale miracle» en Ouganda, sous la houlette de la Croix-Rouge. Depuis, l’institution a clairement indiqué qu’elle n’avait jamais encouragé cette initiative, et pensait qu’il s’agissait simplement d’un produit pour purifier l’eau. ▅
«La relecture de l’étude se serait effectuée en dix jours. C’est beaucoup trop rapide»
FRÉDÉRIC SCHÜTZ, STATISTICIEN À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE