Les vieilles recettes de Mario Draghi
Baisse du taux d’intérêt, nouveau plan d’assouplissement monétaire et nouveaux prêts généreux aux banques afin que celles-ci prêtent davantage à l’économie réelle: la Banque centrale européenne n’y est pas allée de main morte jeudi
Après huit ans à la présidence de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi tirera sa révérence fin octobre. Mais la réunion du Conseil des gouverneurs qu’il a présidée jeudi restera probablement comme l’une des plus importantes de sa carrière à Francfort.
Face à la crise qui avait débuté en 2007-2008 et plongé la zone euro dans la récession, Mario Draghi avait dégainé tout un arsenal. Le 12 juillet 2012, il annonçait la couleur en prononçant la fameuse phrase «Whatever it takes», voulant dire qu’il ferait tout pour remettre la zone euro sur les rails. Sous sa direction, la BCE a adopté des mesures conventionnelles et non conventionnelles. Avec un certain succès.
Mais voilà, en 2019, la zone euro est revenue à la case départ. Les conditions ne sont certes plus les mêmes qu’en 2007-2008. Depuis, les Dix-Neuf, qui ont l’euro comme monnaie commune, se sont dotés de nombreux instruments pour prévenir d’éventuelles crises et faire face à celles-ci. Il n’empêche que, selon les dires mêmes de Mario Draghi, les risques d’une récession sont bien réels.
Force est de constater que le président de la BCE a sorti les mêmes vieilles recettes que durant la dernière crise. Des recettes qui ont fait leurs preuves, mais qui font aussi débat.
La BCE a injecté 2600 milliards d’euros dans l’économie depuis 2012 et l’on se demande où est passée cette manne. Les taux négatifs? Ils ont fini par affaiblir les banques, qui ont déboursé 7 milliards d’euros en intérêts en 2018 pour placer leur surplus de liquidités auprès de la BCE. Tout aussi pernicieuse, cette politique pénalise les épargnants. La relance par la politique fiscale? Des Etats qui disposent d’une marge de manoeuvre budgétaire s’en fichent. En la matière, le président en partance de la BCE vient de donner un coup d’épée dans l’eau.
Mais là où le bât blesse, c’est que Mario Draghi vient d’imposer ses vieilles recettes à Christine Lagarde, qui lui succédera dès le 1er novembre. L’ancienne directrice du Fonds monétaire international n’est certes pas une banquière centrale, et elle a plaidé pour la continuité de la politique monétaire dans la zone euro. Mario Draghi ne lui laisse aucune marge de manoeuvre pour innover et tester de nouvelles approches.
Les taux négatifs? Ils ont fini par affaiblir les banques
Avant tout, la Banque centrale européenne (BCE), lors de sa réunion du Conseil des gouverneurs jeudi à Francfort, a posé le cadre: la zone euro est exposée à une faiblesse de plus longue durée que prévu.
En cause, la chute continue du commerce international et un environnement d’incertitudes mondiales prolongées. Dès lors, elle a revu à la baisse ses prévisions de taux de croissance, pour la deuxième fois cette année, à 1,1% en 2019, 1,2% en 2020 et 1,4% en 2021. «Les risques de récession sont faibles, mais ils augmentent», a d’emblée prévenu son président, Mario Draghi. Dans ces circonstances, la BCE ne pouvait que sortir le grand jeu.
Trois mesures phares font partie de l’arsenal. En premier, le taux directeur, plus particulièrement le taux de dépôt qui concerne les liquidités excédentaires des banques et qui est déjà négatif, a été baissé de -0,10% à -0,50%. Suivant l’exemple de la Banque nationale suisse, la BCE introduit un système de taux par paliers pour alléger la charge d’intérêt pour les banques. L’an dernier, ces dernières ont payé environ 7,5 milliards d’euros d’intérêt à la BCE.
«Aussi longtemps que nécessaire»
Ensuite, la BCE a réactivé son programme de rachat de dette publique et privée à hauteur de 20 milliards d’euros par mois. Cette mesure d’assouplissement monétaire avait été déployée en mars 2015 jusqu’à décembre 2018. Pendant cette période, elle a accumulé 2600 milliards d’euros dans son bilan. Autrement dit, elle a remis cette manne en circulation. La mesure anti-crise entrera en vigueur dès le 1er novembre et «durera aussi longtemps que nécessaire».
Enfin, la BCE entend lancer une troisième série de prêts aux banques à des taux très favorables dans le cadre du programme dit «TLTRO». Son objectif est de pousser ces dernières à prêter à leur tour cet argent à l’économie réelle ainsi qu’aux ménages.
«Les mesures annoncées par la BCE correspondent à nos attentes, commente Gilles Prince, CIO de la banque Edmond de Rothschild à Genève. La BCE a surtout montré sa détermination à poursuivre autant qu’il le faut une politique monétaire pour satisfaire les attentes d’inflation et la stabilité des prix, ce qui sont ses premières fonctions.» Selon lui, la politique monétaire accommodante se justifie par les risques de ralentissement qui guettent la zone euro.
Choc d’offres
A ce propos, Sabrina Khannouche, économiste senior chez Pictet Asset Management à Genève, relève que le président de la BCE a, comme jamais auparavant, insisté sur le rôle des politiques fiscales dans la relance économique. En effet, sans nommer l’Allemagne, Mario Draghi a demandé aux Etats ayant une marge de manoeuvre d’entreprendre des dépenses publiques pour donner une impulsion à l’activité économique dans la zone euro.
«A la lumière des risques qui pèsent sur la croissance, il veut lutter contre le choc d’offres qui frappe le secteur manufacturier», renchérit Sabrina Khannouche. Elle fait encore remarquer que la BCE n’a pas inclus dans ses prévisions d’inflation révisées à la baisse les retombées négatives d’un Brexit sans accord ou encore d’une escalade de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine.
Doutes
«Par contre, tout espoir d’assouplissement fiscal important nous semble prématuré malgré les injonctions exprimées par Mario Draghi, affirme pour sa part Alan Mudie, Global CIO de la Société Générale Private Banking à Genève. Il faudrait une dégradation économique plus importante que celle prévue par les économistes de la BCE pour pouvoir tabler dessus.»
Dans le même registre, Valentin Bissat, économiste stratège chez Mirabaud Asset Management, dans une note écrite, dit douter que «ces mesures soient suffisantes à elles seules à augmenter le regain attendu d’inflation».
Alors que, dans l’ensemble, les analystes affirment que les annonces de la Banque centrale européenne correspondent aux attentes des marchés, ces derniers ont terminé la séance de jeudi certes en vert, mais pas de façon plus exubérante. Du reste, la faible hausse en Asie, puis en Europe, était imputée plutôt à un répit dans la guerre commerciale, accordé tant par les Etats-Unis que par la Chine.
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«Les risques de récession sont faibles, mais ils augmentent» MARIO DRAGHI