«Il n’y a jamais eu de viols»
Dans son ouvrage «Devoir de vérité» paru le 11 septembre, Tariq Ramadan nie sans surprise en bloc les accusations de viol
Cette contre-offensive littéraire, dans laquelle il insiste sur sa piété musulmane, est d’abord un réquisitoire contre ceux qui veulent le détruire
Dans son livre «Devoir de vérité» paru le 11 septembre aux Presses du Châtelet, l’islamologue suisse nie vigoureusement les accusations de viol. Son ouvrage, dans lequel il insiste sur sa piété musulmane, est d’abord un réquisitoire contre ceux qui voudraient le détruire
Devoir de vérité, l’ouvrage de Tariq Ramadan sorti en librairie – coïncidence complète, assure son éditeur – ce 11 septembre (date anniversaire des attentats d’Al-Qaida à New York, en 2001) mérite d’être lu avec attention. D’abord, parce que l’islamologue suisse mis en examen pour viols a le droit de faire entendre sa version. Ensuite, parce qu’il s’y raconte et décrit ses neuf mois de détention (du 2 février au 15 novembre 2018), conséquence selon lui de l’engrenage judiciaire français.
Larmes et douleurs
En 282 pages écrites à la première personne, l’ex-professeur à Oxford concède des «erreurs» sans jamais s’attarder sur celles-ci, préférant reconstruire sa stature intellectuelle et morale pourtant questionnée par ses mensonges sur son mode de vie et ses infidélités conjugales, sur lesquelles il ne revient pas. «Je n’ai pas à faire l’exposé de ma vie privée», tranche-t-il, coupant court à toute demande d’explication sur ses relations sexuelles hors mariage, niées naguère avec force. Seuls sont évoqués le courage et le soutien de sa femme, de ses enfants et de sa famille. Pas de traces de reproches de la part de ces derniers. «Je n’ai jamais utilisé la religion ou l’emprise religieuse pour manipuler […]. Je ne suis pas un violeur […]. Je voulais protéger ma famille.»
Dans Devoir de vérité, achevé en avril, Tariq Ramadan se décrit comme un homme intègre et pieux, soucieux de placer ses actes sous le regard de Dieu, en particulier lors de sa détention ponctuée par ses prières et ses récitations des sourates du Coran. Exit les méandres de son parcours personnel sauf pour redire qu’il n’a «aucune affiliation avec les Frères musulmans», dont son grandpère fut le fondateur en Egypte. Exit aussi sa vie en Suisse, pays dont il ne parle jamais alors qu’il y a grandi et qu’il en possède la nationalité. L’intellectuel raconte avant tout ses fragilités personnelles, ses crises de larmes et les douleurs physiques provoquées en prison par sa sclérose en plaques dont il détaille les symptômes – et les traitements – pour démentir tous ceux qui ont pu mettre en doute ses souffrances.
Les pages consacrées à son arrivée à la prison de Fleury-Mérogis, en pleine nuit, sans vêtement chaud, grelottant de froid dans une cellule individuelle où le vent d’hiver traverse une fenêtre cassée, rappellent ce que peut coûter une erreur judiciaire. Méritait-il tel châtiment, infligé par deux juges dont «les regards,
«Je n’ai jamais utilisé la religion ou l’emprise religieuse pour manipuler»
TARIQ RAMADAN
le ton, les questions et les sous-entendus ne laissaient guère de place au doute»? La version des faits de Tariq Ramadan vise d’abord à décrédibiliser les femmes qui l’accusent de viol, nécessairement manipulées ou manipulatrices. Lui? Un séducteur: «L’idée d’abuser d’une femme contre sa volonté et de jouir de sa souffrance m’est totalement étrangère et m’horrifie. Ce n’est pas moi. Je ne peux rien vivre que dans la complicité, […] je n’ai jamais parlé, écrit ou agi qu’avec l’accord de la femme, son consentement, sa complicité ou bien souvent à sa demande.»
Tariq Ramadan est, dans Devoir de vérité, victime et innocent. Point. On sait que la justice française a autorisé in extremis, le mardi 10 septembre, la diffusion du livre qui identifie, outre Henda Ayari, une autre plaignante, Paule-Emma Aline, alias «Christelle». A la lecture de l’ouvrage, dans lequel l’islamologue accuse la plupart des magistrats, des policiers et des gardiens de prison (avec de très rares exceptions, dont celle d’un policier «blanc de souche» qu’il remercie pour son humanité, et de ses médecins), cette autorisation semble justifiée. N’empêche: le malaise du lecteur est patent lorsque l’auteur écrit en détective, comme s’il était absent de cette affaire. Jamais, au fil des pages, n’apparaissent ses sollicitations, ses échanges crus par internet avancés par les plaignantes et consignés au dossier. L’islamologue croit au piège tendu, selon lui, par ceux qui le «haïssent» comme, entre autres, l’éditorialiste Caroline Fourest ou le journaliste genevois Ian Hamel. Même Edwy Plenel, le patron de Mediapart qui lui avait ouvert ses colonnes avant d’être plus nuancé, est cloué au pilori.
Des femmes perdues
On l’aura compris: les accusatrices de Ramadan sont, pour ce dernier, des femmes utilisées, perdues: «Mme Henda Ayari, comme Mme Aline, a menti sur à peu près tous les sujets: son passé, la date et le lieu de la rencontre (présentant des documents falsifiés), affirme-t-il. Ses différentes versions concernant les faits, ses relations avec les hommes, la nature de nos échanges […]. Qui peut encore considérer cette plainte avec sérieux?» La ligne de défense a été bétonnée. L’universitaire charge son ancien avocat, Yassine Bouzrou, qu’il accuse en filigrane de l’avoir mal défendu. Son actuel défenseur, Me Emmanuel Marsigny, est son rempart. «Il n’y a jamais eu de viols et les plaignantes ont menti», jure Tariq Ramadan. Vient ensuite tout un chapitre pour comparer son cas à celui du capitaine Dreyfus. «De Dreyfus à Mandela, ce sont des systèmes, des modes opératoires systémiques et structurels que je veux dénoncer. […] C’est aujourd’hui dans le miroir négatif de l’islam (et des Arabes) que d’aucuns pensent l’identité de la nation française.» Un plaidoyer, in fine, où la cause politico-religieuse est brandie comme ultime justification. On ne se refait pas.