Pourquoi le Rwanda accueille des migrants bloqués en Libye
MIGRATION Un premier contingent d’Africains sera évacué ces prochaines semaines vers le Rwanda. Le petit pays parle de nécessaire solidarité africaine et confirme son retour en grâce sur la scène internationale
Le Rwanda accueillera, ces prochaines semaines, 500 réfugiés africains extraits du bourbier libyen. Cette première évacuation, qui concernera des ressortissants du Soudan, de Somalie ou d’Erythrée, devrait être suivie d’autres. Le Rwanda a signé mardi un accord avec l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Union africaine (UA) pour formaliser ces transferts inattendus.
Le Rwanda, 12 millions d’habitants, est le second pays d’Afrique, après le Niger, à accepter d’héberger des réfugiés africains coincés en Libye. Mais, contrairement à son homologue sahélien, le «pays des mille collines» est à l’écart des routes de migration vers l’Europe. Le Rwanda accordera aux Africains une admission temporaire. Le temps que des solutions définitives soient trouvées pour ces réfugiés: une relocalisation dans un autre pays, un retour dans leur pays d’origine ou alors une intégration au Rwanda, ce que n’excluent pas les autorités de Kigali pour «certains» réfugiés.
Kagame incontournable
Le gouvernement rwandais invoque la nécessaire solidarité africaine pour expliquer son effort, alors que le pays accueille déjà des réfugiés de son voisin burundais. Le tout-puissant président Paul Kagame s’était déjà ému de la situation des Africains en Libye en 2017, après les révélations explosives de la chaîne américaine CNN sur un marché des esclaves en Libye. L’esclavage est un thème qui résonne douloureusement dans l’opinion publique africaine. Cela n’a pas échappé à Paul Kagame, depuis bientôt vingt ans au pouvoir, qui présidait jusqu’à récemment l’UA et qui se pose en leader du continent.
Incontournable, Paul Kagame s’est même réconcilié avec la France. Paris avait soutenu à bout de bras l’ancien régime rwandais coupable du génocide de 1994, chassé militairement par les compagnons de Kagame. Grâce au soutien français, c’est la Rwandaise Louise Mushikiwabo, une proche du maître de Kigali, qui préside l’Organisation internationale de la francophonie.
Un volet financier
Le geste migratoire de Kigali soulage l’Europe de plus en plus réticente à accueillir des réfugiés africains sur son sol. On ignore si le Rwanda touchera des compensations, l’accord signé mardi entre Kigali, le HCR et l’UA n’ayant pas été rendu public. Mais le HCR a d’ores et déjà appelé la communauté internationale à contribuer financièrement à cet arrangement.
Ce système de transit de réfugiés sur le continent africain est déjà en place depuis la fin 2017 au Niger. Depuis cette date, le HCR a évacué 4400 réfugiés coincés en Libye. Près de 3000 d’entre eux l’ont été vers le Niger, les autres vers la Roumanie. Ils ont ensuite été répartis dans une dizaine d’autres pays européens, dont la Suisse, qui en a accueilli près de 80. Mais le processus est lent, car «il a fallu mettre en place des procédures qui étaient inexistantes au Niger et aussi recruter des traducteurs», justifie Vincent Cochetel, envoyé spécial du HCR pour la Méditerranée.
Des chiffres bien maigres au vu de l’ampleur des besoins. Le HCR a recensé 47000 personnes coincées en Libye qui auraient le droit à l’asile, car fuyant la guerre ou des persécutions. Il y aurait en plus un demi-million de migrants qui auraient quitté leur pays pour des motifs économiques.
«Sauver des vies»
Quel que soit leur statut, tous ces gens sont à la merci des trafiquants d’êtres humains et des milices qui se disputent le territoire libyen. Toujours selon le HCR, 4700 migrants ou réfugiés sont encore entassés dans des centres de détention en Libye, comme celui de Tajoura, dans la banlieue de Tripoli, touché par un bombardement en juillet dernier, faisant une quarantaine de victimes.
«Ces évacuations sont modestes numériquement, reconnaît Vincent Cochetel, mais elles sauvent des vies et démontrent un effort de solidarité de deux pays africains hébergeant déjà beaucoup de réfugiés. Cela montre aussi qu’il n’y a pas besoin d’aller jusqu’en Libye puis de tenter la traversée de la Méditerranée pour obtenir protection.» Un périple extrêmement périlleux, de la traversée du Sahara jusqu’au chaos libyen avant de pouvoir éventuellement s’embarquer sur un rafiot pour l’Italie. Des rives italiennes de plus en plus hors d’atteinte, depuis que les pays européens financent les garde-côtes libyens pour stopper les traversées. Le Rwanda est une nouvelle pièce dans ce dispositif de sous-traitance de la migration.
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