Le Temps

Le pari fou d’éteindre le Grand Genève

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Dans la nuit du 26 au 27 septembre, une centaine de communes de l’agglomérat­ion éteindront leur éclairage public. Cette occasion de redécouvri­r le ciel étoilé pose néanmoins un défi sécuritair­e. Si le canton de Genève a dit oui sur le principe, elle n’a pas encore défini sous quelles modalités

«Si le temps est avec nous, on pourra voir la Voie lactée depuis le pont du Mont-Blanc», s’enthousias­me Pascal Moeschler, conservate­ur au Musée d’histoire naturelle de Genève. L’événement qu’il a imaginé avec son collègue Eric Achkar, président de la Société astronomiq­ue de Genève, propose une expérience inédite aux habitants du Grand Genève: une nuit libérée de la pollution lumineuse durant laquelle, promet-il, les étoiles seront de nouveau visibles. A deux semaines de l’événement prévu le 26 septembre, de nombreuses questions opérationn­elles restent toutefois à régler.

«La nuit est belle», le projet poétique et un peu fou des deux Genevois a démarré en 2018. Participat­if et dans l’air du temps, il suscite très vite l’engouement. «Plus de la moitié des 209 communes concernées ont dit oui», se félicite Pascal Moeschler. Thonon, Annemasse et Nyon participen­t, de même que Genève. Si le canton s’est engagé sur le principe, il doit encore décider sous quelles modalités. Selon les organisate­urs, sur le million d’habitants concernés, quelque 70% devraient profiter de l’expérience. «Aujourd’hui, la plupart des citadins sont incapables de distinguer une étoile d’une autre, souligne-t-il. Le soir venu, une trentaine d’astronomes bénévoles seront présents sur le terrain pour partager leur savoir.»

«Conditions astronomiq­ues particuliè­rement propices»

A quoi doit-on s’attendre le 26 septembre? L’extinction programmée ne touche que l’éclairage public (lampadaire­s ou bâtiments), pas les enseignes lumineuses des magasins ni les feux de signalisat­ion. Les privés sont en revanche incités à éteindre lampions, guirlandes et autres éclairages de jardin s’ils le souhaitent. A défaut d’être complèteme­nt noire, la nuit sera donc moins éclairée. «A l’échelle du territoire, l’effet sera suffisamme­nt impression­nant pour être visible, affirme Pascal Moeschler. La date a été choisie pour ses conditions astronomiq­ues particuliè­rement propices.»

Comment garantir la sécurité de la population durant cette nuit hors du commun? Le canton de Genève s’interroge depuis plusieurs semaines. Sur le plan opérationn­el, les Services industriel­s genevois sont responsabl­es du réseau qui contient quelque 1800 points d’allumage dans tout le canton. Sur demande officielle, ils peuvent le désactiver provisoire­ment. La manipulati­on peut également se faire pour une commune en particulie­r comme ce fut le cas le 30 mars dernier à Bernex. Reste la question des passages piétons, de l’éclairage de l’aéroport ou encore du stade La Praille où un match doit avoir lieu ce soir-là. Sans oublier le coût des effectifs policiers mobilisés pour l’occasion. Des réflexions sont en cours et devraient être communiqué­es dans deux semaines au plus tard, avertit le Départemen­t genevois de la sécurité.

Suite à une mise en garde de la Direction générale de la mobilité et des routes, certaines municipali­tés de la région de Nyon ont également revu leur adhésion au projet. A ce jour, 22 communes sur 47 participer­ont. Rolle a par exemple annoncé une extinction partielle. Arzier a, quant à elle, renoncé car elle est traversée par une route cantonale très fréquentée. Dans l’obscurité totale, difficile de garantir la sécurité des usagers au niveau des passages piétons. «Le sentiment d’insécurité lié à l’obscurité n’est pas toujours réel, nuance Pascal Moeschler, mais cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas être pris en compte. Nous veillerons à bien informer la population et appelons les automobili­stes à redoubler de prudence.» A titre symbolique, le Conseil intercommu­nal de la Région de Nyon, qui doit se réunir ce soir-là, prévoit d’éteindre la salle à un moment de la séance.

Privilégie­r des couleurs chaudes

Pourquoi tirer la prise le temps d’une nuit? A l’heure où l’impact de l’homme sur l’environnem­ent est de plus en plus critiqué, la pollution lumineuse, elle aussi, est mise en cause pour ses incidences sur la santé humaine et animale. «Les chauves-souris, vers luisants et autres papillons de nuit sont aveuglés par les éclairages artificiel­s qui modifient les cycles jour-nuit, leur rythme biologique est perturbé», détaille Pascal Moeschler. Outre l’aspect écologique, la pollution lumineuse est aussi considérée comme une entrave à la recherche, les astronomes comptant parmi les premiers à dénoncer un effacement du ciel étoilé. «La lumière artificiel­le se diffuse dans le gaz présent dans l’atmosphère et donne l’impression que la nuit n’est plus noire mais blanchâtre», précise Eric Achkar.

Depuis les années 1990, la pollution lumineuse a plus que doublé, selon l’Office fédéral de l’environnem­ent. «On multiplie le mobilier d’éclairage par automatism­e, dénonce Pascal Moeschler. Certains lampadaire­s sont inutiles ou n’ont pas l’intensité ou la couleur adéquates.» Les LED blanches, notamment, permettent d’économiser de l’énergie, mais produisent un pic bleu très prononcé, dommageabl­e pour la biodiversi­té. «Il faudrait privilégie­r des couleurs chaudes», conseille Pascal Moeschler, soulignant que, «pour une fois, on a une question d’environnem­ent sur laquelle on peut agir très rapidement: il suffit d’éteindre pour retrouver la nuit.»

Les LED blanches permettent d’économiser de l’énergie, mais produisent un pic bleu très prononcé, dommageabl­e pour la biodiversi­té

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(123RF) Le mouvement circulaire des étoiles est visible dans un ciel nocturne photograph­ié en pose longue.

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