Le Temps

Les banquiers ne veulent plus des taux négatifs

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

POLITIQUE MONÉTAIRE L’Associatio­n suisse des banquiers déplore que les taux négatifs accroissen­t la vulnérabil­ité systémique et produise des effets sociaux et structurel­s Les banquiers en ont assez. Plutôt des interventi­ons sur le marché des changes que des taux négatifs. Tel est le message délivré par Herbert Scheidt, président de l’Associatio­n suisse des banquiers (ASB), jeudi à Zurich, à l’occasion de la Journée des banquiers.

La BNS est «totalement indépendan­te», a-t-il certes rappelé devant la presse, mais les banquiers montrent clairement qu’ils en ont assez des taux négatifs et de leurs innombrabl­es effets négatifs. A l’évidence, on est allé trop loin. «Nous sommes parvenus à un point où ils rendent le système bancaire vulnérable», ajoute-t-il.

Etablissem­ents suisses défavorisé­s

Les banques suisses, à cause des taux négatifs, versent 2 milliards de francs par an à la BNS, soit 5% de leurs revenus d’intérêts. Elles sont défavorisé­es par rapport à la concurrenc­e internatio­nale puisque les banques américaine­s gagnent 30 milliards de dollars sur leurs intérêts sans risque et que les instituts de la zone euro reçoivent de l’argent de la BCE. Les banques suisses le sont d’autant plus que «les prescripti­ons réglementa­ires sont plus strictes qu’ailleurs».

L’accusation est forte. Les taux négatifs provoquent des effets structurel­s que l’ASB se plaît à détailler. En premier lieu, ils ne soutiennen­t pas la croissance économique: «Les entreprise­s rentables n’investisse­nt pas davantage. En revanche, les entreprise­s non rentables (dites zombies) sont maintenues artificiel­lement en vie, ce qui compromet durablemen­t la compétitiv­ité de notre économie», constate le président de l’ASB. Ils conduisent aussi à «de nombreuses bulles spéculativ­es», à l’image de la surchauffe de l’immobilier. Ils incitent des acteurs non bancaires à introduire des taux extrêmemen­t bas, voire négatifs, sur le marché hypothécai­re, en particulie­r de la part des plateforme­s numériques. Ces exemples montrent, selon l’ASB, que les taux négatifs rendent «plus vulnérable» le système bancaire. De plus, ils introduise­nt des distorsion­s de portefeuil­le, avec une préférence pour les titres à risque. Et des effets sur le modèle d’affaires des banques, en réduisant leur diversific­ation.

Impacts sociaux à ne pas négliger

L’impact est aussi social: ils pénalisent l’ensemble des citoyens à travers leur épargne et leur prévoyance vieillesse. «Plus ce contexte de taux toujours plus bas perdure et plus les impacts sociaux, structurel­s et conjonctur­els seront graves», avertit le président des banquiers.

L’ASB évalue les mesures qu’elle pourrait prendre, selon Jörg Gasser, le nouveau président de la direction (CEO) de l’ASB. Ne rien faire, reporter les taux négatifs sur les clients ou demander une restitutio­n à la BNS? «Nous devons d’abord nous mettre d’accord», ajoute-t-il. Cela n’empêche pas l’ASB de demander de renforcer le mandat de stabilité de la BNS, en l’occurrence d’y intégrer la cybercrimi­nalité.

Autre thème abordé, la lutte contre le changement climatique. Le sujet tient à coeur aux banquiers, selon l’ASB. Mais «nous rejetons toute réglementa­tion unilatéral­e», avertit Jörg Gasser. La coordinati­on en faveur du climat doit être internatio­nale. La Suisse peut tout de même prendre des mesures en faveur des investisse­ments durables.

Ne pas taxer la finance durable?

La première consiste à retirer les restrictio­ns contenues dans les directives de placement de la prévoyance profession­nelle. «Nous demandons la suppressio­n des limites pour les placements durables, tant pour les actifs traditionn­els (actions, obligation­s) qu’alternatif­s (infrastruc­tures)», insiste l’ASB.

Les investisse­ments durables, qui représente­nt 717 milliards de francs en 2018, devraient être libérés des entraves fiscales. Jörg Gasser demande la suppressio­n des droits de timbre sur la finance durable et une réforme de l’impôt anticipé. Les recettes fiscales liées au droit de timbre atteignent 2 milliards de francs au total.

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