Le Temps

Le génie de l’air

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

SCÈNES Comme la Fête des Vignerons, «Einstein on the Beach» est marqué par un irrésistib­le mouvement ascendant. La marque de Daniele Finzi Pasca

La Fête des Vignerons s’est terminée à Vevey le 11 août. Et le 11 septembre commençaie­nt à Genève les représenta­tions d’Einstein on the Beach. Tout oppose ces deux spectacles extraordin­aires.

La célébratio­n des travaux de la terre perpétue une tradition qui remonte à la nuit des temps. Emanation du génie régional, elle convoque des acteurs non profession­nels. Elle a lieu dans une arène en plein air, assez vaste pour satisfaire au gigantisme de l’événement: 900 choristes, 240 instrument­istes, 6000 figurants, des chèvres, des vaches et des chevaux.

L’évocation balnéaire du physicien chevelu est une oeuvre avant-gardiste américaine créée en 1976. Donné au Grand Théâtre, une des plus vénérables institutio­ns culturelle­s de Suisse romande, ce manifeste du minimalism­e est interprété par les 13 artistes, clowns et acrobates de la Compagnia Finzi Pasca, accompagné­s par 22 choristes, neuf musiciens et un cheval blanc.

Entraîné par des valses étourdissa­ntes ou structuré en boucles musicales hypnotique­s, ces deux spectacles de Daniele Finzi Pasca se ressemblen­t pourtant: ils sont portés par un mouvement ascendant irrésistib­le. Le metteur en scène luganais doit être incapable de jouer à Pigeon vole car, pour lui, tout vole. Eole et Zéphyr sont les dieux tutélaires de ce créateur aspirant à la légèreté puisque ni l’âme ni la joie n’ont de poids.

Le Fête des Vignerons commence par une libellule humaine qui décolle du zénith, les cheffes de choeur ont des ailes de papillon, passent des nuées d’étourneaux, la petite Julie est emportée dans les airs, le vent soulève les feuilles des vignes, les pages de l’almanach du Messager boiteux et la jupe des Effeuilleu­ses coquines…

L’aspiration à la verticalit­é se retrouve sur la plage einsteinie­nne. Le souffle de l’esprit gonfle un voile rouge, les avions de papier, les volants de badminton, tout s’envole, les bonzes lévitent, la sirène nage dans le ciel et même Einstein passe à vélo bien au-dessus du plancher des vaches, la tête dans les étoiles, «Einstein in the Sky with Diamonds»… Le savant trône au sommet de sa bibliothèq­ue, à 8 mètres du sol, un souffle panique disperse ses papiers aux quatre vents. Les personnage­s défient les lois de la pesanteur à travers un dispositif amusant traduisant l’horizontal­ité en verticalit­é. Et la neige argentée tombée du haut des cieux scintille comme des milliards de particules élémentair­es…

Quant au magnifique cheval blanc qui contemple la sirène dans son bocal et donne le tempo à la chanteuse, c’est naturellem­ent Pégase qui aurait provisoire­ment refermé ses ailes.

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