Zoé Blanc-Scuderi, pour en finir avec l’ignorance liée au tabou de la sexualité
La Lausannoise de 29 ans a créé Sexopraxis, un centre de thérapies et d'ateliers dont l'objectif est d'informer autrement sur la santé sexuelle et le plaisir
Parler haut et fort, le dos bien droit, de l’importance cruciale de l’éducation sexuelle tout au long de la vie, dans un café silencieux comme une bibliothèque entre les costards-cravates et les jeunes parents à poussettes: tout le monde n’ose pas. Mais pour la sexologue Zoé Blanc-Scuderi, l’intime est politique, indissociable de l’organisation sociale d’un monde qui change. Pas de quoi chuchoter entre un jus de pomme et un café.
La Lausannoise de 29 ans a lancé en 2017 Sexopraxis, un centre de thérapies et d’ateliers remarqué en Suisse romande. Ni glauques ni scabreux, ces derniers sont destinés à quiconque estime avoir encore deux ou trois choses à apprendre sur son anatomie, son plaisir, et sur celui de son/sa partenaire, en théorie et en pratique. Un seul objectif: sortir de l’ignorance collective dans laquelle, bien souvent, le tabou lié à la sexualité nous immerge (savezvous, par exemple, situer le vestibule vulvaire? moi pas). Dans les locaux de Sexopraxis se relaient une dizaine de thérapeutes et une trentaine d’intervenants, à l’origine de quelque 150 événements par année.
Une société codifiée
L’intérêt médiatique et la participation de curieux de tous âges prouvent que l’offre en la matière était nécessaire: «Notre but est de faire ce qui n’existe nulle part ailleurs, on ne s’estime pas du tout en concurrence avec les espaces de parole qui peuvent exister, par exemple chez Profa.» Ce qui l’intéresse dans cette drôle d’aventure, c’est d’abord «de faire tomber les masques» et de «sortir la sexualité de la honte».
«On vit dans une société très codifiée où tout le monde joue un rôle, et moi j’ai longtemps cru que l’intimité était le lieu d’une certaine authenticité. C’est ce qui m’a poussée dans cette direction. Depuis, bien sûr, j’ai compris que d’autres façades existent dans ce domaine-là. Mais chez Sexopraxis, on entend mettre de côté les jugements, les normes oppressantes, et créer un espace où l’on peut exister comme on est, apprendre et s’instruire sans avoir à en rougir.»
Clamant dès l’âge de 6 ans à qui voulait l’entendre qu’elle deviendrait sage-femme, Zoé Blanc-Scuderi se passionne depuis belle lurette pour les êtres humains. Son premier et seul «délit»? Le vol d’un livre de biologie en salle de sciences à l’âge de 10 ans. «Je passais des heures à apprendre chaque os du squelette… j’avais d’improbables lubies.»
Diagnostiquée «haut potentiel intellectuel» à 13 ans, la jeune Zoé n’aime pas l’école et encaisse l’échec. «J’étais la fille toujours à côté de la plaque, très premier degré. Je posais trop de questions et ce monde n’avait pas de sens pour moi.» Après le divorce de ses parents, elle navigue entre père et mère selon les semaines, se démarquant partout par son indépendance d’esprit: quelques amis, oui, mais pas de cliques, pas de groupes – elle finit l’école avec l’immense soulagement de ceux qui n’ont ni voulu ni réussi à «rentrer dans le rang».
L’énergie qu’elle déploie, adolescente, à défendre les causes qui lui tiennent à coeur laisse perplexes certains, force l’admiration d’autres. De sa toute première manifestation (contre la guerre en Irak, en 2004), elle retient la force galvanisante des masses qui se mobilisent, portevoix à la main. Un débat télévisé sur les travailleuses du sexe lui fait prendre conscience du mépris et de l’image caricaturale qui leur collent à la peau. Action/réaction: elle s’engage auprès de plusieurs associations pour défendre le droit des femmes à disposer de leur corps et de leur sexualité en toute liberté.
La formation d’assistante en soins et santé communautaire est une évidence, ayant toujours en tête qu’elle passerait sa vie à accompagner celles qui la donnent. Mais l’annonce, prise en pleine face, d’une maladie l’invite à prendre un peu de recul sur sa vocation initiale. «Il y avait deux endroits où je me sentais bien, durant cette période-là: sur une scène de théâtre, que je pratiquais depuis quelque temps, et dans ma baignoire.» Elle convainc sans y croire elle-même l’école des Teintureries et se retrouve, trois ans plus tard, à assister la metteuse en scène Evelyne Knecht sur la réalisation du spectacle Un Métier pas comme les autres. Au centre, comme un boomerang, reviennent les travailleuses du sexe.
Sexologue, pourquoi pas?
Parce qu’on la sait décomplexée, empathique et non-jugeante, des amis plus ou moins proches se mettent à lui parler de sexualité. «Quelqu’un un jour m’a dit pour rire «Pourquoi tu ne deviendrais pas sexologue?» et là – premier degré, quand tu nous tiens – je me suis dit: pourquoi pas?»
«Bizarre.» L’étiquette ressort quand elle l’annonce à sa famille helvéto-sicilienne. «La moitié de la table a éclaté de rire, l’autre moitié a dit «encore un truc étrange de Zoé». Et pourtant: les ateliers de Sexopraxis tressent les trois fils conducteurs de sa vie: la santé, l’échange et l’engagement politique.
C’est que la préparation «du monde de demain, celui qui verra le patriarcat s’effondrer, avec un peu de chance», passe par des chemins de traverse. Par exemple, par des cours sur le consentement ou sur les dimensions multiples du plaisir et de la santé des femmes, en cours de développement. Tout un programme.
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«On entend mettre de côté les jugements, les normes oppressantes, et créer un espace où l’on peut exister comme on est, apprendre et s’instruire sans avoir à en rougir»