Vives inquiétudes autour du marché noir de l’e-cigarette
ÉTATS-UNIS Le vapotage fait l’objet de vives inquiétudes aux Etats-Unis. Donald Trump a annoncé vouloir interdire les e-cigarettes aromatisées, jugées trop attrayantes pour les jeunes, et mardi l’Etat de New York a franchi le pas. Mais le vrai problème se situe au niveau de la contrebande
La crise du vapotage devient toujours plus préoccupante aux Etats-Unis. Six personnes décédées depuis cet été de maladies pulmonaires aiguës après avoir utilisé des recharges contenant notamment du THC, la substance psychoactive du cannabis, et près de 450 autres qui ont fini aux urgences, parfois plongées dans un coma artificiel: face à cette «épidémie», les autorités ne pouvaient pas rester sans rien faire.
Juul, le numéro 1 sur le marché américain du vapotage, était déjà montré du doigt pour son marketing agressif ciblant les jeunes, désormais ce sont les recharges de contrebande des e-cigarettes qui suscitent le plus de craintes. En annonçant, mardi, l'interdiction des liquides aromatisés, l’Etat de New York a évoqué une huile de vitamine E comme possible cause des décès, une hypothèse que n’ont pas encore confirmée les autorités sanitaires fédérales.
L’impulsion de Melania Trump
Cette nouvelle menace, et l’attrait grandissant du vapotage chez les jeunes, a poussé Donald Trump à déclarer, le 11 septembre, qu’il envisageait, ces prochains mois, d’interdire les cigarettes électroniques aromatisées. Influencé par sa femme? Deux jours plus tôt, Melania Trump lançait un appel sur Twitter: «Je suis profondément préoccupée par l’épidémie croissante de la cigarette électronique chez nos enfants. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger le public contre les maladies et les décès liés au tabagisme, et empêcher que les cigarettes électroniques ne deviennent un tremplin vers une dépendance à la nicotine touchant toute une génération de jeunes.»
Le 13 septembre, le président américain a plus spécifiquement fait allusion au marché noir, sur Twitter: «Alors que j’aime le vapotage comme alternative aux cigarettes, nous devons nous assurer que cette solution est sûre pour tous. Eliminons toutes les contrefaçons du marché et tenons les jeunes enfants à l’écart du vapotage!»
Un marché de plus de 10,2 milliards
Une récente saisie dans une petite ville du Wisconsin, un Etat où les produits issus de la marijuana sont illégaux, donne un aperçu de l’ampleur du marché noir: des milliers de cartouches de liquides aromatisés, 98000 recharges vides et des récipients contenant du THC ont été retrouvés dans une maison, stockés par deux frères dans la vingtaine qui visiblement se prenaient pour des petits chimistes en herbe, raconte le New York Times.
Le concept est simple: les trafiquants achètent des emballages et cartouches vides, souvent de fabrication chinoise, y injectent du THC, qu’ils coupent avec d’autres huiles, pour en tirer le maximum de profit. Ce sont ces huiles qui pourraient avoir provoqué des pneumonies lipidiques, et pas les produits officiels vendus
L’Etat de New York a évoqué une huile de vitamine E comme possible cause des décès
légalement. Les deux frères employaient une dizaine de personnes pour remplir les recharges à leur manière. En perquisitionnant leur maison, les enquêteurs ont notamment retrouvé 59000 dollars en cash, huit armes à feu, 10 grammes de cannabis, ainsi que des instruments auxquels recourent habituellement les trafiquants de drogue.
En août, la FDA – la Food and Drug Administration –, alertée par la consommation grandissante chez les jeunes, avait sommé quatre fabricants de retirer 44 types de recharges contenant des liquides aromatisés, sous peine de sanctions. Le Congrès américain s’en est aussi mêlé. Supprimer les e-liquides au goût de fruits tropicaux (mais bizarrement pas le menthol)? Des études démontrent que les e-cigarettes sont trop attrayantes pour les jeunes, nombre d’entre eux étant ainsi devenus dépendants de la nicotine alors qu’ils n’étaient pas fumeurs auparavant.
Le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) indique que les élèves vapoteurs sont passés de 2,1 millions en 2017 à 3,6 millions en 2018. C’est ce nouvel attrait qui a probablement motivé des jeunes à se lancer dans la contrebande, en recourant à des substances potentiellement nocives. Selon Grand View Research, le marché mondial de la cigarette électronique représentait 10,2 milliards de dollars en 2018 et pourrait croître de près de 25% entre 2019 et 2025.
Plusieurs villes et Etats inquiets
Le milliardaire Mike Bloomberg, l’ex-maire de New York à l’origine de l’interdiction de fumer dans les bars et restaurants de la Grande Pomme au début des années 2000, estime qu’il y a urgence et que la FDA n’en fait pas assez. Le 10 septembre, soit la veille de l’annonce de Donald Trump, il a fait savoir qu’il lançait une campagne sur trois ans, avec 160 millions de dollars, pour faire interdire les cigarettes aromatisées dans «au moins vingt villes et Etats américains».
San Francisco, la ville où Juul a son siège, a déjà décidé d’interdire le vapotage tout court, tout comme la ville de Richmond, en Virginie. L’Etat du Michigan a aussi pris cette décision. Mais c’est bien New York qui est le premier Etat à franchir officiellement le pas: la décision a été prise mardi et elle est entrée en vigueur avec effet immédiat. C’est d’ailleurs ce que préconisent les autorités sanitaires tant que l’origine exacte des infections pulmonaires, parfois mortelles, n’est pas élucidée. En juillet, l’OMS avait déjà qualifié les e-cigarettes d’«incontestablement nocives».
Mais est-ce judicieux de les interdire alors qu’un des buts des e-cigarettes est d’offrir une alternative moins nocive à ceux qui désirent arrêter de fumer? Ces décisions ravissent à coup sûr l’industrie du tabac: de grands groupes de cigarettiers sont actuellement en phase de dégraissage, précisément à cause de la concurrence des e-cigarettes. ▅