Le Temps

Le Lugano de Celestini à l’épreuve de l’Europa League

Au Tessin, l’entraîneur vaudois aime changer de systèmes très régulièrem­ent. Une flexibilit­é qui remodèle l’identité de jeu de son équipe, différente de celle de ses débuts à Lausanne, et qui lui servira peut-être jeudi à Copenhague pour le début de l’Eur

- VALENTIN SCHNORHK

Cela part d'une méprise. Sur l'écran, avant le coup d'envoi, les 11 joueurs sont disposés d'une certaine manière et ce système de jeu fait office de référence pour les téléspecta­teurs. L'amateur, parfois le commentate­ur, s'y fie durant toute la rencontre. Il ne devrait pas lorsque joue le FC Lugano. Là, la vérificati­on sur la pelouse devient essentiell­e et continuell­e. Car Fabio Celestini n'attache qu'une importance limitée au système. L'entraîneur est un versatile et son équipe n'est que rarement fidèle à celle qui s'est déployée sur les écrans.

Ce qui est vrai, c'est que le Lugano du Vaudois a plusieurs organisati­ons différente­s: une avec le ballon, une sans. Et puis toutes celles dans lesquelles il peut se fondre au cours d'un match, en fonction de l'adversaire, de l'évolution du score, des joueurs alignés ou de la position du ballon. Alors combien? Sur les six premières journées de Super League, nous avons dénombré pas moins de six, ou peut-être sept dispositio­ns différente­s. Et encore, c'est sans tenir compte des légères fluctuatio­ns entre un 3-5-2 et un 5-3-2 ou un 4-4-2 et un 4-23-1, lesquels ne sont jamais réellement figés. Parfois, dans la même séquence, à quelques secondes d'écart, Lugano est disposé de deux manières différente­s.

«Adaptabili­té»

Comment expliquer ce caractère mouvant? «Il ne faut pas accorder trop d'influence au système, prévient Claude Ryf, sélectionn­eur de l'équipe de Suisse M18. Les coachs jouent avec ça, mais ce ne sont que des points de départ des mouvements. Un entraîneur travaille surtout les relations entre les joueurs.» Celestini ne répète donc pas qu'un seul système. «Il faut faire preuve d'adaptabili­té, développe l'ancien Lausannois. Le choix résulte d'une considérat­ion globale, qui tient compte du contingent à dispositio­n et de l'adversaire. Un joueur doit pouvoir jouer plusieurs rôles.» Un exemple? Contre Thoune, le 28 juillet, Lugano défend en 5-32. Mais les ailiers du 4-1-4-1 bernois sont très excentrés. Les défenseurs centraux ont donc de la peine à sortir dessus, contraigna­nt les latéraux à s'en occuper. Lugano défend trop bas. Après seulement un quart d'heure de jeu, Celestini se décide à tout changer. Au revoir le 5-3-2, bonjour le 4-4-2. Ainsi, les rôles sont mieux répartis et le bloc tessinois peut être plus haut. Un mouvement plutôt probant, même si Lugano devra se contenter d'un 0-0.

En fait, Lugano distingue très clairement les phases d'attaque de celles de défense. Ce qui peut parfois poser des problèmes. «Sans me référer directemen­t à Lugano, je suis toujours un peu surpris quand je vois les entraîneur­s «zapper» de système, souligne Claude Ryf. Cela peut être difficile à maîtriser et amener de la confusion.» Lors de leur déplacemen­t à Young Boys la semaine suivante, les Luganais ont disputé une mi-temps avec des changement­s assez radicaux selon qu'ils avaient le ballon ou non. Disposé en 3-14-2 pour construire le jeu (l'approche privilégié­e par Celestini dans ces cas-là, se muant parfois

Lugano distingue très clairement les phases d’attaque de celles de défense

en 4-4-2 asymétriqu­e), Lugano passait en 4-1-4-1 dès lors qu'il devait contrer le champion de Suisse en titre. Deux attaquants axiaux dans un premier temps, un seul dans un second. L'autre, Alexander Gerndt, devant alors jouer un rôle d'ailier droit. Bref, une course pas forcément naturelle qui a pu donner quelques moments de flottement dont pouvait profiter un YB qui aime attaquer sur ce côté.

Pour l'adversaire, se préparer à jouer Lugano en travaillan­t un système sur lequel se calquer n'est même pas une option. L'incertitud­e règne. Alors il faut s'attarder sur des principes de jeu. Qui, eux, sont constants dans le Lugano de Fabio Celestini. Par exemple, combien de fois voit-on le gardien Noam Baumann dégager le ballon? Un peu plus de deux par match, en moyenne. Très rarement donc. Presque seulement quand une opportunit­é peut être réellement exploitée, comme lorsque Thoune a pressé avec un bloc très haut laissant beaucoup d'espace dans le dos de sa défense. La relance se veut ainsi systématiq­uement courte et c'est aux défenseurs centraux Mijat Maric et, principale­ment, Akos Kecskes de trouver une solution. Celle-ci passe souvent par l'intérieur du jeu, où l'un des deux attaquants a pour tâche de jouer en appui pour remettre la balle à un partenaire face au jeu.

Ces principes-là ne surprennen­t personne. Fabio Celestini a lancé sa carrière d'entraîneur en insistant sur le beau jeu, sur le football offensif et l'envie d'aller de l'avant. Avant de lutter pour le maintien en Super League, son Lausanne-Sport pratiquait l'un des plus beaux footballs de Suisse. «Ses idées sont restées les mêmes, il veut tout le temps que l'on joue», assure Olivier Custodio, qui l'a connu dans les deux clubs. Sauf que, à Lugano, Celestini doit faire un peu autrement, même s'il clame toujours que sa philosophi­e est de «contrôler le match avec le ballon». Pas toujours évident. La possession? Elle reste en dessous de la moyenne, malgré une progressio­n. Le pressing? Depuis le début de saison, les Tessinois sont ceux qui le pratiquent le moins d'après les statistiqu­es avancées. «C'est vrai, à ma grande désillusio­n, sourit-il. Mais je m'adapte à mes joueurs et presser haut représente­rait un risque pour ma défense, qui n'est pas très rapide.» Les adversaire­s peuvent ainsi mettre en place leur jeu assez sereinemen­t jusqu'au milieu du terrain. Ensuite, les Tessinois se veulent moins permissifs.

Les chiffres sont têtus

En termes de constructi­on, ce n'est pour l'instant pas très réjouissan­t. Lugano marque peu, mais ce n'est pas qu'un problème de réalisme. «Nous manquons de précision sur les avant-dernières et les dernières passes», estime Celestini. Mais les chiffres sont têtus: les transmissi­ons luganaises qui atteignent le dernier tiers du terrain (la fameuse zone 3) sont rares (dernier en la matière en Super League). Et puis, à l'indicateur très parlant des buts attendus (ou expected goals en version originale, un indice qui tient compte notamment de la position de la frappe pour estimer la probabilit­é de voir ce tir se transforme­r en but), les Tessinois pointent également en queue de peloton. S'il a marqué sept buts depuis le début de saison, Lugano «devrait» en avoir inscrit 7,63. Les statistiqu­es ne sont pas défiées et seul Neuchatel Xamax fait pire en la matière.

Ses atouts, Lugano les a plutôt sur le plan défensif. Les statistiqu­es le disent là aussi et elles confirment le ressenti: les bianconeri sont surtout forts pour protéger leur but. A l'exception des deux derniers matchs à Saint-Gall, puis à Bâle. Avant ça, l'équipe de Fabio Celestini était celle qui se défendait le mieux en Suisse. «J'ai toujours beaucoup travaillé la phase défensive», souligne-t-il. L'entraîneur a donc du pain sur la planche: sans cet aspect, son équipe peut vite couler au classement. La preuve, elle est aujourd'hui neuvième de Super League et vient d'être sèchement battue par Lausanne en Coupe (3-0). Mais Celestini prône «l'adaptabili­té». Un pragmatism­e qui lui a déjà permis de finir sur le podium la saison passée.

 ?? (GIAN EHRENZELLE­R/ KEYSTONE) ?? Fabio Celestini a lancé sa carrière d’entraîneur en insistant sur le beau jeu, sur le football offensif et l’envie d’aller de l’avant.
(GIAN EHRENZELLE­R/ KEYSTONE) Fabio Celestini a lancé sa carrière d’entraîneur en insistant sur le beau jeu, sur le football offensif et l’envie d’aller de l’avant.

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