Benyamin Netanyahou, la campagne de trop
Bye-bye «Bibi»? La mort politique de Benyamin Netanyahou a déjà été annoncée tant de fois qu’il serait hasardeux de la proclamer de nouveau, après les élections de mardi, les deuxièmes en 5 mois. Les labyrinthes de la politique israélienne ont assez de portes, de fenêtres et de trappes de toutes sortes pour permettre à tout moment le retour des fantômes, ainsi que la disparition des distraits.
Le premier ministre (sortant?) ne s’est pas laissé distraire une seule seconde avant ces élections qui devaient décider non seulement de sa carrière politique mais aussi de sa liberté, puisque Netanyahou risque de lourdes sanctions pour des affaires de corruption. «Bibi» a mené une campagne qui, en d’autres temps, aurait été jugée proprement odieuse: à la disqualification constante de ses opposants s’est ajoutée celle des «élites», de la presse ou de la justice. La diabolisation des Palestiniens d’Israël (les «Arabes israéliens», 20% de la population) s’est accompagnée de chèques en blanc offerts à la droite la plus extrême, de promesses d’annexion d’une bonne partie de la Cisjordanie ainsi que des colonies de Hébron. Durant la campagne, le candidat à sa ré-ré-réélection a été à deux doigts de provoquer une guerre à Gaza. Les Palestiniens? A peine mentionnés, ou alors comme autant de terroristes à combattre.
Si elles ont permis un réveil tardif des électeurs arabes, ces outrances incessantes ont sans doute contribué aussi au relatif échec subi par cet homme qui domine la scène politique israélienne depuis plus d’une décennie. Mais il ne faudrait pas tomber dans le piège tendu par Benyamin Netanyahou, et réduire tous les enjeux israéliens à sa simple personne. Au-delà de son sort personnel, et souvent occulté par lui, le glissement à droite de la politique israélienne reste incontestable. Si la place avait été libre, son rival de «gauche», le général Benny Gantz, aurait pu faire une parfaite tête de liste du Likoud, le parti de Netanyahou. Ces élections ont fini de le démontrer: la question d’une possible annexion de la vallée du Jourdain et des blocs de colonies fait désormais partie du consensus israélien. Le scrutin de mardi marquera peut-être la fin politique de l’inusable «Bibi». Mais plus sûrement encore, il a définitivement sonné le glas d’un Etat palestinien. La «solution des deux Etats» n’est plus aujourd’hui qu’un vieux rêve évanoui.
Le scrutin a définitivement sonné le glas d’un Etat palestinien
ÉLECTIONS La perspective d’un cinquième mandat s’éloigne pour le premier ministre israélien, qui n’a pas réussi à remporter un nombre de sièges suffisant pour conserver son poste. Empêtré dans des affaires de corruption, il doit aussi être entendu par la justice
Des visages crispés, une salle immense à moitié vide et une attente interminable. L’ambiance n’était pas à la fête mardi soir dans les quartiers généraux du Likoud à Tel-Aviv, qui devaient accueillir le discours de Benyamin Netanyahou après l’annonce des premiers résultats. Café et sandwiches en abondance, climatisation à fond et musique entraînante ne parviennent pas à chasser la lassitude croissante des militants. A deux heures du matin, un couple s’endort sur une chaise, laissant choir à terre son panneau pro-Likoud. Dans la foule clairsemée, seuls deux ou trois officiels de haut rang du Likoud se sont déplacés, et le parti n’a pas pris le soin de renouveler les images de campagne diffusées, les mêmes qu’en avril. Dans cette atmosphère de fin de règne, une question folle apparaît: «Bibi» viendra-t-il?
L'impasse se répète
Il est venu. Très tard, déterminé et fatigué, appelant à établir un gouvernement qui respecte le caractère juif et sioniste de l’Etat d’Israël en un discours dans lequel il n’a pas reconnu de défaite. Pourtant mardi, le scénario catastrophique du 9 avril s’est répété. Rappelez-vous: il y a cinq mois, le Likoud et le parti Bleu Blanc de Benny Gantz avaient obtenu 35 sièges chacun. Netanyahou n’avait pas réussi à conclure les alliances qui lui auraient permis d’obtenir la majorité de 61 députés sur 120 pour former une coalition. Le premier ministre avait alors préféré reconvoquer des élections plutôt que de passer la main.
Or l’impasse se répète. Non seulement Netanyahou est toujours au coude-à-coude avec Gantz (33 sièges contre 32 pour le Likoud), mais encore ses alliés naturels n’ont pas percé suffisamment pour lui assurer une majorité. La droite religieuse a obtenu 7 sièges, les ultra-orthodoxes 17 en tout. Cela fait un total de 56 places alors qu’il en a besoin de 61 pour régner sans partager avec Gantz, et en se passant de Lieberman qui possède 8 sièges.
Netanyahou aura porté la bataille à des extrémités inouïes pour éviter ce jeu de chaises musicales. Sur le plan des procédures, le premier ministre a ainsi enfreint trois fois la loi électorale israélienne, donnant
Sur le plan des procédures, le premier ministre a enfreint trois fois la loi électorale israélienne
deux interviews à la radio et publiant des statistiques de vote sur Facebook alors qu’il n’en avait plus le droit.
Ce qui a frappé encore plus, c’est la gevalt («violence» en yiddish) de sa campagne. «Bibi» a surenchéri dans toutes les directions. Draguant l’extrême droite en promettant l’annexion de la vallée du Jourdain – un quart de la Cisjordanie. Jouant sur les peurs et la haine en se déchaînant sur les Arabes d’Israël – 20,95% des électeurs. On l’a vu vociférer, planté sur une caisse dans la centrale des bus de Jérusalem, que l’Autorité palestinienne s’immisçait dans la campagne pour les inciter à voter. Laisser écrire sur sa page Facebook officielle des propos qui ont valu à un de ses chatbots d’être bloqué pour incitation à la haine. Vouloir envoyer des centaines de militants dans les bureaux de vote pour empêcher la fraude dont seraient coupables les Arabes israéliens. Facebook a aussi supprimé une centaine de faux profils les incitant à boycotter les urnes.
Le parti arabe israélien en 3e place
Cette stratégie n’a pas payé. Selon des résultats partiels mardi à la mi-journée, environ 60% d’Arabes israéliens ont voté, contre 50% en avril. Et Liste Jointe, leur parti, est devenu numéro 3 en Israël après avoir remporté douze sièges – trois de plus que lors des dernières élections. Un succès qui n’a pas empêché Netanyahou mercredi de fustiger ces partis arabes «glorifiant des terroristes assoiffés de sang qui assassinent nos soldats, nos citoyens et nos enfants».
Fin du chapitre campagne, début des négociations. Mille scénarios sont d’ores et déjà évoqués, mais deux choses semblent claires. D’abord, Liste Jointe, le parti arabe israélien, restera dans l’opposition malgré sa place de 3e. Son chef de file Ayman Odeh l’a annoncé et ni le Likoud ni Bleu Blanc ne semblent prêts à intégrer les Arabes israéliens au gouvernement.
Avigdor Lieberman, faiseur de rois
Dans cette configuration, le vrai gagnant est Avigdor Lieberman. Un nationaliste de droite laïc, tapageur (on lui doit de nombreux scandales) et qui par son discours russophile plaît beaucoup aux Israéliens venus d’exURSS. Entré au parlement en 1999, ce Moldave d’origine aura été vice-premier ministre, et ministre tous azimuts – de la Défense aux Affaires étrangères. C’est lui qui a provoqué le retour aux urnes en refusant au mois d’avril de s’allier à Netanyahou, prétextant son opposition à l’exemption militaire des ultra-orthodoxes, partenaires de «Bibi».
Il y a quelque chose pourtant qu’il désirait bien plus encore que la fin des privilèges des ultrareligieux: devenir le faiseur de rois de cette deuxième élection. Pari gagné avec les neuf sièges qu’il a remporté. Ils lui permettent de réaliser ce rêve qui est le cauchemar de son ancien ami intime Netanyahou: lui imposer ses conditions, tout comme à Benny Gantz qui le courtise déjà.
Dans les prochains jours, le président de l’Etat d’Israël Reuven Rivlin désignera l’homme le plus apte à former le prochain gouvernement, sur la base de la solidité des alliances. Quel que soit son choix, Netanyahou n’échappera pas au procureur qui lui a fixé rendez-vous le 2 octobre pour l’entendre sur les affaires de corruption dont il est soupçonné. La page des pleins pouvoirs dont le premier ministre rêvait est tournée.
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