Le Temps

Pourquoi Jean-Luc Mélenchon rêve d’un procès politique

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Le leader de la gauche radicale française a impérative­ment besoin de se réinventer, après avoir raté la crise des «gilets jaunes». Son procès pour «rébellion et provocatio­n», les 19 et 20 septembre, lui en donne l’occasion

L’accusateur de la République. A 68 ans, Jean-Luc Mélenchon est désormais drapé dans ce rôle. Lui qui, durant la présidenti­elle de 2017 – achevée en quatrième position, avec 19,58% des suffrages – s’était forgé un rôle d’indigné et de «sage», capable de faire revivre l’élan historique républicai­n, se défend en victime et s’exprime en procureur.

Exemple: son livre, sorti juste avant le procès pour «actes d’intimidati­on contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocatio­n» envers les forces de l’ordre (passible de 1 an de prison et d’une peine d’inéligibil­ité), qui se tiendra au Tribunal de Bobigny (Seine-SaintDenis) ces jeudi et vendredi.

La saisine du tribunal, par le parquet, fait suite à la perquisiti­on empêchée des locaux de La France insoumise le 16 octobre 2018. Jean-Luc Mélenchon, paré de son écharpe tricolore de député, et accompagné par plusieurs élus de son parti, s’y était violemment opposé. Il en a, depuis, fait son combat central: «Je ne dois pas accepter de me faire couper la gorge dans le vacarme confus de l’informatio­n spectacle», assène-t-il d’emblée dans son ouvrage titré Et ainsi de suite. Un procès politique en France (Ed. Plon).

«Mélenchon fonctionne à l’insurrecti­on»

Ce rôle, il faut dire, sied à merveille au tribun de la gauche radicale, revenu d’une tournée estivale en Amérique latine où il a rencontré, début septembre, l’ancien président brésilien Lula, aujourd’hui emprisonné à la suite d’accusation­s controvers­ées de corruption. D’abord parce qu’il correspond à son tempéramen­t et à ses références idéologiqu­es: «Mélenchon fonctionne à l’insurrecti­on. C’est son carburant. C’est sa formule magique. Il s’est insurgé jadis comme trotskiste. Puis il s’est insurgé contre le Parti socialiste dont il avait pourtant gravi les échelons en bon apparatchi­k. Et maintenant, il s’insurge contre la République d’après lui dévoyée par le pouvoir macronien», explique une journalist­e parisienne familière de La France insoumise.

Avantage de cette stratégie: la possibilit­é de multiplier coups de gueule et provocatio­ns, comme lors de sa conférence de presse du 12 septembre. Oubliée, l’ébauche de regrets à propos de l’affronteme­nt violent d’octobre 2018 avec les magistrats et policiers venus perquisiti­onner dans le cadre d’une double enquête sur les comptes de sa campagne de 2017, et sur de possibles emplois fictifs d’assistants parlementa­ires européens: «Les regrets, je vous les laisse ainsi que les remords», a conclu le leader de La France insoumise qui, dans le passé, s’était montré plus repentant.

D’autant qu’une reconstitu­tion des événements montre que Jean-Luc Mélenchon avait oscillé au cours de la tentative de perquisiti­on entre insultes et mots rassurants pour les forces de l’ordre, surjouant le spectacle de l’élu assiégé. «Longtemps, je n’ai pu ni dire ni écrire ce que je publie sur Facebook. Il m’en coûte encore. Mais je pourrai dire le jour de ma bascule. Ce jour, c’est celui-ci», poursuit-il dans son ouvrage.

Une colère stratégiqu­e

Côté politique, la colère mélenchoni­ste est surtout une stratégie. Comment exister, après les convulsion­s des «gilets jaunes» entre le souci d’Emmanuel Macron de reconnecte­r avec les classes populaires via le «grand débat national», et le rôle d’opposante en chef de Marine Le Pen, dont le Rassemblem­ent national est arrivé en tête aux élections européenne­s (23,3% des voix)? «La conviction de Jean-Luc Mélenchon est qu’une nouvelle fracture est apparue: celle qui oppose une partie des Français à l’Etat devenu trop répressif sur le plan sécuritair­e, et trop favorable aux riches via le démantèlem­ent de l’impôt sur la fortune. Cela justifie à ses yeux une forme de guérilla», juge une proche de la députée FI Clémentine Autain, de plus en plus critique envers les méthodes de son leader.

Plus subtil, un autre élu de la France insoumise, Alexis Corbière – lui aussi cité à comparaîtr­e jeudi – s’inquiète sans le dire du risque de voir Mélenchon rechercher une condamnati­on lors du procès: «Nous ne sommes pas au-dessus des lois. Mais pas en dessous non plus», nuance-t-il.

Dernier aspect de l’offensive Mélenchon: sa place dans le parti qu’il a créé. L’ascension d’un de ses dauphins, le député du Nord Adrien Quatennens, devenu coordinate­ur national en juin 2019, n’a pas répondu à toutes les critiques entendues après l’échec de la liste aux européenne­s (6,3% des voix, au coude à coude avec la liste soutenue par le PS). Personnali­sation du pouvoir mélenchoni­ste, malaise lié à la personnali­té de Sophia Chikirou, une ex-communican­te du mouvement (et en litige financier avec celui-ci) présentée comme sa compagne…

La stratégie de la colère serait-elle aussi celle de la diversion? Un jugement du Tribunal de Paris rendu fin août à ce propos a en tout cas justifié la publicatio­n d’un article du magazine people Closer sur leur relation: «L’évocation par l’article et les clichés publiés d’une relation sentimenta­le réelle ou supposée entretenue dans ces circonstan­ces d’actualité judiciaire contribue à un débat d’intérêt général dont il est légitime d’informer le public», ont conclu les juges. ▅

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