Le Temps

«Lolilover», le cauchemar des petites filles

- FATI MANSOUR @fatimansou­r * Prénom d’emprunt

Jugé pour avoir abusé d’une vingtaine d’enfants alors qu’il participai­t aux camps de Caritas Jeunesse, un moniteur admet aussi avoir filmé ses actes et partagé les images sur le darknet. Récit d’audience

Il tremble, se ratatine et marmonne des propos presque inaudibles. «C’est difficile pour moi de m’exprimer, car j’ai honte», précise Henri* à l’intention du président du Tribunal correction­nel de Genève. Le prévenu, 35 ans, reconnaît avoir pratiqué des attoucheme­nts sur une vingtaine de fillettes alors qu’il était moniteur dans les camps de vacances de Caritas Jeunesse. Il admet aussi avoir filmé les abus et partagé ces images sur le darknet en usant de plusieurs pseudonyme­s, dont celui de «Lolilover». Des actes qu’il n’arrive toujours pas à expliquer. «J’ai du mal à comprendre mes pulsions.»

Début 2018, les déclaratio­ns d’une enfant mettent fin à huit années de dérive. Interpellé, Henri, défendu par Me Guillaume de Candolle, se met assez vite à table et révèle des faits d’une ampleur insoupçonn­ée. La saisie de son matériel informatiq­ue joue un rôle dans les aveux. «Je savais qu’il y avait encore des choses compromett­antes mais parler de mes difficulté­s était aussi une forme de libération. C’était l’occasion d’avancer et de permettre aux familles de savoir ce qui s’était passé.»

Des images aux actes

Selon ce récit, il commence à s’intéresser à la pédopornog­raphie vers l’âge de 27 ans. Solitaire, timide, peu à l’aise avec les filles, pas très doué pour les études, il commence un apprentiss­age pour devenir animateur sociocultu­rel mais passe surtout beaucoup de temps sur internet et les réseaux sociaux avant de basculer sur des forums interdits et terrifiant­s. Cela ne vous inquiétait pas de vouloir devenir éducateur alors que vous fréquentie­z des sites pédophiles? «Oui, ça m’a perturbé mais j’ai sincèremen­t pensé que j’allais pouvoir surmonter mon problème.»

Les juges s’interrogen­t. Avez-vous commencé et continué à travailler dans ces camps pour assouvir des pulsions? Henri le conteste. Tout était impulsif, rien n’était très réfléchi. «J’avais un réel intérêt profession­nel et j’ai poursuivi en pensant que j’arriverais à arrêter. J’étais bien conscient que c’était illégal et que c’était mal.» Il aurait songé à consulter un psychiatre mais n’aurait jamais osé faire la démarche. «J’avais peur de révéler à moi-même qui j’étais et j’avais aussi peur d’être dénoncé.»

Une peur persistant­e

A partir de 2011, lors de camps qui se tiennent dans les cantons de Genève, du Valais et de Vaud, ainsi qu’en France, il multiplie ce qu’il appelle «des caresses déplacées» sur des fillettes âgées de 5 à 11 ans. Il abuse de ses victimes dans le réfectoire, la salle de jeux, le bus, le train, sous la douche et même dans le dortoir alors qu’elles dorment profondéme­nt. Très souvent, il filme ses actes et les parties intimes des petites avec son téléphone portable pour ensuite les visionner en se masturbant, voire les partager sur un forum spécialisé. Me Robert Assaël, avocat d’une partie plaignante, lui demande: Vous avez donc pris une partie de l’identité de ces enfants et l’avez propagée dans le monde entier? «Oui, j’en suis conscient.»

Certains parents, entendus au procès, peinent à croire que le visage de leur fillette n’ait jamais été posté par le prévenu. «On a si peur qu’elle puisse être reconnue dans la rue par un pervers.» D’autres précisent que leur enfant, qui dormait au moment des actes, n’a aucun souvenir. «Sur conseil de la police, on n’a rien dit pour ne pas créer de traumatism­e.» Il y a aussi celles qui ont changé de comporteme­nt. «Ma fille a d’énormes problèmes de sommeil. A 12 ans, elle dort encore avec moi. Je suis dégoûtée et en colère», ajoute cette mère qui a elle-même subi une agression sexuelle. Enfin, la petite qui a eu le courage de dénoncer le moniteur s’en veut de l’avoir envoyé en prison car elle l’aimait bien. «Elle préférerai­t être morte.»

«Une poussée d’adrénaline»

Dans son acte d’accusation, la procureure Katerina Figurek Ernst soutient que le moniteur a choisi des enfants qui se trouvaient dans des situations difficiles. L’une avait des douleurs importante­s à l’oreille, d’autres avaient de la peine à rester seules, certaines souffraien­t beaucoup de l’éloignemen­t et étaient en demande d’affection. «C’était plutôt quand l’occasion se présentait ou si j’avais une attirance particuliè­re», nuance le prévenu. Henri ajoute qu’il ne ressentait pas d’excitation physique. «C’était plutôt comme une poussée d’adrénaline.»

L’expertise psychiatri­que conclut à un trouble de la préférence sexuelle de type pédophile ainsi qu’à un trouble mixte de la personnali­té susceptibl­es d’atténuer très légèrement sa responsabi­lité pénale. Le risque de récidive est qualifié de moyen. Une conclusion à laquelle le prévenu adhère: «Je suis prêt à tout pour me soigner, même à prendre des médicament­s.» Un avenir qui commencera déjà à être esquissé ce jeudi, à l’occasion du réquisitoi­re.

La procureure soutient que le moniteur a choisi des enfants qui se trouvaient dans des situations difficiles

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