Le grand théâtre du Brexit sans accord
Le Brexit est devenu un spectacle aussi palpitant que les meilleurs films de suspense. Theresa May et Boris Johnson ont utilisé la menace d’une sortie de l’UE sans accord pour essayer (sans succès) d’obtenir des concessions de la part des Européens. Ceux-ci, de leur côté, utilisent cette menace pour atteindre l’opinion publique britannique. Des rapports officiels décrivent les queues de camions sans fin des deux côtés de la Manche, des pénuries de médicaments et même de vivres.
Il est possible qu’une sortie de l’UE sans accord soit suivie de sérieuses perturbations, mais c’est peu probable ou ça ne devrait pas durer. Même si toute l’aventure a un côté surréaliste, les gouvernements sont bien plus rationnels qu’ils n’en ont l’air à première vue. Ces fameux accords concernent uniquement la question du divorce: quelles sont les conditions de la sortie de la Grande-Bretagne – qui habitera où et comment partager les frais engagés? Les négociations sur les futures relations – qui s’occupera des enfants? – débuteront après la sortie. C’était une exigence des Européens. Comme cette approche crée un hiatus dès le soir où le Brexit aura lieu, les accords – que le parlement britannique a rejetés – prévoient une période de transition de presque deux ans pour négocier les relations après le divorce. Durant cette période, les échanges commerciaux et financiers avec la Grande-Bretagne tout comme les mouvements des personnes resteront ceux qui existent aujourd’hui. La vraie sortie aura lieu une fois ces négociations terminées. Mais que se passera-t-il si la Grande-Bretagne sort sans accord le 31 octobre, l’un des scénarios les plus plausibles et celui que Boris Johnson semble préférer?
S’il n’y a pas d’accord de sortie, il n’y a aucune transition prévue. C’est là qu’apparaît le spectre des graves désorganisations des échanges commerciaux entre l’UE et la Grande-Bretagne. Les droits de douane externes prévus pour les pays qui n’ont pas passé d’accords avec l’EU s’appliqueront alors immédiatement aux importations en provenance de Grande-Bretagne, de même que les règles pour le mouvement des personnes ou pour les échanges financiers. Pour ses importations, la Grande-Bretagne, qui n’a aucun accord avec aucun pays puisqu’elle fonctionnait comme partie de l’UE, devra définir en urgence ses droits de douane (qui devront être compatibles avec les règles de l’OMC) et toutes les règles pour les échanges financiers et pour l’immigration.
Ce spectre est agité par les uns et les autres pour essayer d’extraire des concessions. Admirable partie de poker! Mais c’est largement du théâtre, parce que c’est très facile à éviter. En effet, si la sortie se fait sans accord, rien n’empêche de décider, à la dernière minute, une transition similaire, voire identique, à celle qui est prévue en cas d’accord. Tout le monde y aura intérêt. Les dirigeants britanniques qui auront provoqué le Brexit dur ne voudront surtout pas prendre le risque de créer la panique et de voir leurs citoyens mourir en masse faute de médicaments ou, tout simplement, manquer de beurre danois et de tomates hollandaises. Les Danois et les Hollandais, et tous les autres, ne veulent pas de faillites d’entreprises alors que les clients ne demandent qu’à consommer leurs produits. Pourquoi créer tant de misère alors qu’il est si facile de l’éviter? C’est une tactique politique classique: on invente un problème facile à régler et on démontre ainsi combien on est malin et efficace.
Est-on bien sûr que c’est ce qui va se passer? Rien n’est jamais sûr dans ce spectacle. Le risque reste que les protagonistes croient ce qu’ils racontent et ne sachent pas changer de pied au bon moment. Ce risque est faible du côté européen, mais de la part de Boris Johnson? C’est assurément un grand acteur. Et puis rien ne dit qu’il sera premier ministre le soir du Brexit, ni même qu’il y aura un Brexit. En attendant, savourons le spectacle, il faut avouer qu’il est de qualité.
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