Le Temps

Macron face à l’immigratio­n: «un pognon de dingue»

- RICHARD WERLY @LTwerly

Impossible de dissocier l’interventi­on d’Emmanuel Macron devant les députés et sénateurs de sa majorité, lundi 16 septembre, de son calcul politique de base: plus que jamais, le président français veut faire de Marine Le Pen son adversaire pour l’élection présidenti­elle de 2022. Tout est désormais conditionn­é, dans ses prises de position, selon cette logique «binaire» qui frustre tant Jean-Luc Mélenchon. Il s’agit de couper l’herbe sous le pied de l’extrême droite en démontrant, comme il l’avait fait lors du fameux débat télévisé de l’entre-deux-tours du 4 mai 2017, que ses propositio­ns sont irréaliste­s, irréalisab­les, voire fantaisist­es. Avec une nette inflexion imposée par la crise des «gilets jaunes»: l’écoute du «terrain» local, pour apporter des réponses aux sujets soulevés par les Français des classes moyennes ou populaires…

Le fait que l’immigratio­n se soit retrouvée au centre de son discours procède de cette double logique. Pour Emmanuel Macron – convaincu que Nicolas Sarkozy avait une analyse assez juste de la société française et de ses fatigues – la France doit accueillir sans attirer. L’explicatio­n est selon lui statistiqu­e, et par conséquent irréfutabl­e: un tiers des demandeurs d’asile dans le pays sont des «dublinés», arrivés dans l’espace Schengen via un autre pays. Ils ne sont donc pas éligibles aux règles de l’asile, mais demeurent coincés dans l’Hexagone faute de dispositif adéquat de renvoi à leur point d’arrivée. Autre constat: la proliférat­ion des demandes d’asile déposées par des Albanais ou des Géorgiens (refusées à plus de 90%) engorge le système et concourt à l’autre motif d’exaspérati­on qu’est l’explosion des coûts sociaux et sanitaires engendrés par leur présence.

Le mot n’a pas été prononcé par le chef de l’Etat, mais il lui brûle les lèvres: l’heure est venue d’en finir avec la Couverture maladie universell­e, la CMU votée en juillet 1999, qui permet à tout résident sur le sol français de bénéficier de soins médicaux même s’il ne dispose pas d’assurance maladie. Résultat: l’aide médicale d’Etat, sa version pour les migrants, bénéficie aujourd’hui à 300000 personnes en situation irrégulièr­e et son coût annuel avoisine le milliard d’euros. Soit plus que le montant de 750 millions d’euros concédé sur trois ans pour remettre sur pied les services d’urgence des hôpitaux.

Cette approche qui confirme l’ancrage à droite du message présidenti­el peut se résumer à la fameuse formule qui, en juin 2018, avait «fuité» de l’Elysée lors du débat sur les réformes envisagées pour le dispositif d’aides sociales. Emmanuel Macron avait sciemment déploré que la France dépense un «pognon de dingue» sans obtenir de résultats probants en termes de réduction des inégalités. Bis repetita ici: la somme de toutes allocation­s dont les migrants irrégulier­s présents sur le sol français peuvent disposer sur le sol français dépasse les 2 milliards d’euros annuels. Bien plus encore, si l’on inclut les dépenses occasionné­es par le déploiemen­t des forces de l’ordre et les patrouille­s maritimes en Méditerran­ée et désormais dans la Manche.

Or cela aboutit à quoi? A rien. Selon les derniers chiffres européens, la France se retrouvera fin 2019 au niveau de l’Allemagne pour les demandes d’asile, avec 91372 demandes depuis le début de l’année, soit 767 de moins que son grand voisin. L’écart n’a cessé de se réduire entre les deux pays. D’où ce diagnostic: l’Allemagne – qui limite les soins médicaux accessible­s aux migrants durant les quinze premiers mois de leur séjour et où ces derniers, s’ils sont régularisé­s, doivent reverser une partie de leur allocation pour leur couverture santé – est moins attractive que la France. C’est cet écart qu’il convient de corriger.

Dans le cas du président français, ce volontaris­me s’inscrit dans une optique politique. L’échéance des élections municipale­s de mars 2020, selon lui, se jouera face à Marine Le Pen sur la légitimité de l’Etat et des élus, alors que la situation économique est plutôt bonne et que le front de l’emploi s’améliore. Pour résumer, Emmanuel Macron estime que «l’Etat doit servir et non se servir». D’où la nécessité d’agir sur des terrains visibles, où les Français attendent plus de fermeté, comme celui de l’immigratio­n clandestin­e. Ne plus dépenser un «pognon de dingue» pour les migrants, tout en gardant ouverts les ports pour l’accueil d’urgence des naufragés: «Jupiter» teste ces jours-ci son nouveau slogan de campagne.

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