ONG, PME: des taux négatifs à la carte
Organisations à but non lucratif et petites entreprises ont vu les taux d’intérêt de leurs comptes passer en terrain négatif, selon des seuils établis au cas par cas par les banques. Pour ne pas perdre de l’argent, elles jonglent entre plusieurs établisse
C’est le genre de coup d’oeil rétrospectif qui acte une transition: «A l’époque, nous parvenions à couvrir nos frais de fonctionnement grâce aux intérêts», se souvient Blaise Triponez, secrétaire général de l’antenne vaudoise de la Loterie Romande. Cette époque, c’est celle, révolue, de l’épargne rémunérée.
«Nous payons nos fournisseurs rapidement, pour garder le moins de cash possible» PASCAL MEYER, PATRON
DU SITE D’E-COMMERCE QOQA
L’association à but non lucratif plaçait alors dans un même établissement les dizaines de millions de francs de bénéfice annuel, en attendant de les redistribuer sous forme de subventions pour des projets sociaux ou culturels, comme elle en a la mission. En l’occurrence sur un compte à la Banque cantonale vaudoise.
La donne change il y a quatre ans, quand dans le sillage de son homologue européenne désireuse de relancer les économies de la zone euro, la Banque nationale suisse décide de prélever un intérêt négatif aux dépôts à vue, pour contenir le cours du franc. Les banques commerciales ont alors commencé par répliquer ces taux sur leurs plus gros clients, que sont les caisses de pension et les assureurs, ainsi que sur les grandes entreprises. Jusqu’à ce qu’elles abaissent les seuils d’exonération, de manière à englober désormais une clientèle plus large, parmi laquelle des associations, des ONG et des PME.
«La banque a dans un premier temps abaissé le taux d’intérêt à zéro», raconte Blaise Triponez. Puis elle a progressivement abaissé le plafond, de telle sorte que, pour éviter de payer des intérêts négatifs, elle répartit désormais les 40 millions de francs de bénéfice de la Loterie Romande revenant à l’antenne vaudoise entre trois banques. Toutes répliquent ces taux négatifs différemment.
Interrogées par Le Temps, les principales banques de détail en Suisse romande que sont UBS, Credit Suisse, les banques cantonales, la Banque Cler (ex-Coop), la Banque Migros, la Raiffeisen ou encore PostFinance confirment toutes répercuter des taux négatifs sur une partie de leur clientèle, avec des seuils d’exonération variables d’un établissement à l’autre. Il est par exemple fixé à 1 million à la Banque cantonale de Berne, qui affirme explicitement exonérer les associations, les ONG et les PME, à 3 millions à la Banque cantonale de Genève «pour tout type de client», ou encore 5 millions à la Banque Cler.
Anticiper davantage
«Cela demande quelques efforts d’anticipation et de gestion», poursuit Blaise Triponez, dont la tâche de redistribution des bénéfices s’étale sur douze mois. «On jongle entre les comptes pour répartir nos fonds», renchérit Nicolas Joray, directeur financier de Médecins sans frontières (MSF), qui, comme Blaise Triponez, est ainsi parvenu à contourner les taux négatifs.
Du côté des PME, «nous payons nos fournisseurs rapidement, pour garder le moins de cash possible. Ce grand flux de trafic de paiements nous permet de garder une relation saine avec nos banques et pour le moment, sans taux négatifs. Mais cela ne fait que déplacer le problème», observe Pascal Meyer, patron du site d’e-commerce QoQa, seul entrepreneur à nous avoir parlé ouvertement.
La plupart d’entre eux préfèrent garder l’anonymat, «pour ne pas perdre le traitement de faveur que les banques assurent nous octroyer», glisse une cheffe d’entreprise. Une discrétion que confirme la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie. «Le sujet est peu discuté entre nos membres mais le sera certainement plus à l’avenir», relève sa présidente, Aude Pugin.
Car au-dessus ou en l’absence de seuils, comme c’est le cas à la Banque cantonale du Jura, à la Banque cantonale du Valais ou à la Banque cantonale vaudoise, l’application de taux d’intérêt négatifs est évaluée au cas par cas, en fonction «de l’intensité» et de «l’historique» de la relation d’affaires entre le client et la banque, écrivent les établissements jurassien et valaisan. Leur homologue vaudoise dit tenir ainsi compte «de la rentabilité de la relation». La Banque cantonale de Fribourg mentionne «quelques exceptions pour des clients de type institutionnel et pour les nouveaux clients qui viennent simplement «parquer» de l’argent auprès de notre établissement».
Autrement dit, un client effectuant quelques transactions permettant à la banque de se rémunérer en commissions bénéficie d’un traitement plus favorable que celui qui laisserait son argent en simple dépôt. «C’est même devenu un motif de refus de la part de certains établissements», indique Nicolas Joray, conscient de «coûter de l’argent aux banques».
Or, à l’instar d’une association d’utilité publique, comme la Loterie Romande, la politique interne d’investissements de l’ONG lui interdit d’effectuer des placements à risques sur les marchés financiers. «Nos activités bancaires se limitent essentiellement à des paiements en francs suisses et en devises», poursuit le directeur financier de MSF.
Visibilité brouillée
Les PME n’ont, elles, pas toutes forcément les liquidités ou l’expertise nécessaire pour effectuer ce genre d’opérations, confie un autre entrepreneur. Il se dit par ailleurs plus préoccupé pour ses carnets de commandes, dans un contexte de ralentissement mondial de l’économie. Le système de taux négatifs à la carte brouille davantage la visibilité sur l’évolution des affaires.
Les marges des banques ont quant à elles fondu. Les volumes des prêts octroyés, notamment sur le marché hypothécaire, ne compensent plus la baisse des revenus. Elles restent suspendues aux banques centrales. «Les décisions qui pourraient être prises font que les établissements bancaires doivent poursuivre leur adaptation à cet environnement de taux», indique la Banque cantonale neuchâteloise. Tandis que les observateurs ne s’attendent pas à un relèvement des taux avant 2022 au plus tôt.
«C’est une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, sans que nous sachions pour l’heure comment nous allons réagir le jour où elle s’abattra», compare Pascal Meyer. Blaise Triponez vient, lui, de recevoir un courrier dans lequel son conseiller bancaire lui annonce que le seuil d’exonération va de nouveau être massivement abaissé.
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