Louis Erard entame sa révolution copernicienne
La petite marque indépendante jurassienne a investi un million de francs dans un ambitieux projet qui devrait lui permettre de retrouver les chiffres noirs. Elle a également ouvert son capital à de nouveaux actionnaires comme l’ancien patron horloger Manuel Emch
Pour son 90e anniversaire, la marque horlogère Louis Erard s'offre un coup de jeune. Nouveau logo, nouvelles montres, nouveaux actionnaires, nouveau site internet, nouvelles collaborations… La petite entreprise indépendante originaire du Noirmont (JU) est en train d'opérer une révolution copernicienne dont les grands axes ont été présentés mercredi.
Alain Spinedi, actionnaire et directeur depuis 2003 de cette marque née en 1929, a été rejoint par une équipe de direction. C'est lui qui avait ressuscité l'entreprise après une faillite au milieu des années 1990. Il a progressivement atteint un pic avec près de 20 000 pièces vendues par an; mais, depuis, les volumes ont baissé régulièrement jusqu'à 7000 l'an dernier.
Attaques conjuguées
Il faut dire que le segment de prix de Louis Erard (600-2500 francs) a subi les attaques conjuguées des montres de mode et des smartwatches. Surtout, l'accès au marché s'est durci avec les difficultés rencontrées par les détaillants physiques. Sans compter le poids de l'éternel franc fort. Conséquence: Louis Erard a dû réduire la voilure sur son site jurassien, passant de 25 à 12 employés. Si elle ne donne pas d'indications sur son chiffre d'affaires, la société reconnaît n'être pas rentable. Particularité dans cette industrie largement tournée vers l'exportation, elle réalise 35% de ses ventes en Suisse, son premier marché.
«Quand vous tombez malade, vous avez besoin d'un médecin. Et là, ce n'était pas juste deux ou trois éternuements», se souvient Alain Spinedi. Pour trouver le bon traitement, il s'est adjoint les services de Manuel Emch, ex-patron horloger (Jaquet Droz, Romain Jerome) aujourd'hui reconverti dans le consulting. Un docteur? «Plutôt un coach ou un psychiatre, cela dépend des jours», sourit ce dernier.
Manuel Emch a ausculté Louis Erard quelques mois avant de poser ce diagnostic: «La marque était prise en tenailles: vers le bas, à moins de 1000 francs, il n'y a plus d'avenir pour les montres qui ne sont pas de mode ou connectées. Vers le haut, à plus de 3500-4000 francs, il n'y a plus d'avenir pour les montres qui ne sont pas des Rolex. Je caricature, mais c'est une réalité pour beaucoup de marques aujourd'hui.»
Louis Erard était bâtie sur un modèle d'affaires classique consistant «à faire de belles montres et à les vendre à des détaillants». Aujourd'hui, cela ne suffit plus. «La croissance automatique est terminée, ajoute Manuel Emch. Si l'on n'est pas une maxi-marque (plus d'un milliard de francs de ventes), il faut trouver une niche. D'ici à deux ans, Louis Erard peut atteindre un palier à 10000 pièces par an et, à partir de là, consolider ses nouvelles fondations.» La rentabilité pourrait être retrouvée d'ici «douze à quatorze mois».
Cet objectif devrait être atteint en «repensant la stratégie à 360 degrés». Outre une nouvelle identité visuelle (un logo qui rappelle l'écusson du Jura et un site internet permettant la vente en ligne), l'entreprise a divisé par dix le nombre de ses références, de 400 à 40. Elle a revu son positionnement de prix légèrement à la hausse (1500-3500 francs) et il n'y aura plus que deux collections: «classiques» (signant notamment des collaborations avec les designers Eric Giroud ou Alain Silberstein) et «sportives». Les montres tourneront grâce à des mouvements Sellita, entreprise avec qui Louis Erard a scellé un «partenariat stratégique». Avec ces arguments, la société entend séduire des détaillants de première classe.
Bilan assaini
Au total, un million de francs a été investi pour cette refonte. En parallèle, le bilan comptable de l'entreprise a été «assaini» (stocks nettoyés, dettes remboursées) et le capital a été ouvert à de nouveaux investisseurs dont… Manuel Emch.
Ce dernier semble donc durablement impliqué dans le projet. Au point que, durant l'heure de présentation, on a davantage entendu le consultant que le directeur. Agé aujourd'hui de 70 ans, Alain Spinedi va-t-il passer la main? «Non, pas dans l'immédiat, répond le principal intéressé. Je continuerai d'exercer certaines tâches opérationnelles mais je me concentrerai sur l'aspect commercial.» Et Manuel Emch de conclure: «On peut d'ailleurs se demander si une équipe de 12-15 personnes a encore vraiment besoin d'un directeur général…»
«Quand vous tombez malade, vous avez besoin d’un médecin»
ALAIN SPINEDI