The Athletic, un modèle payant?
La grande majorité des fans de la planète sport a modifié ses habitudes de consommation de contenu sportif depuis une dizaine d'années à la suite des développements technologiques. Chacun passe désormais, quotidiennement, de nombreuses minutes à consulter une multitude de sites web. Il en existe des centaines sous toutes les latitudes et dans toutes les langues qui offrent tout ce qui est possible et imaginable.
Cet accès instantané à l'information a eu un effet négatif sur les médias traditionnels: télé, radio et presse écrite voient leur volume baisser graduellement, malgré le développement de leur propre site numérique. Aux Etats-Unis, 20% des journaux régionaux de taille moyenne ont cessé de paraître ces dernières années. Des publications sportives très populaires, comme ESPN The Magazine ou The Sporting News, n'existent plus. La nouvelle consommation d'informations sportives passe d'abord par le téléphone mobile. On jette un bref coup d'oeil, on regarde, on lit, on écoute et on visionne. Un geste compulsif qui tourne à l'addiction pour certains fans de sport qui veulent tout voir et surtout tout savoir et ne jamais attendre.
Trouver le point d’équilibre
Le modèle d'affaires d'aujourd'hui est relativement simple. On développe un concept, on crée et mesure la demande, on cultive une fidélité et une habitude chez les consommateurs grâce à la pertinence de la qualité du produit. Cette fréquentation addictive intéresse les annonceurs, qui paient pour placer des bandeaux publicitaires, ou pire, des clips vidéo. Le consommateur s'en irrite mais c'est pour lui le prix à payer. La grande question est de trouver le bon équilibre pour attirer le quidam et le fidéliser avec du contenu court mais passionnant, générer des revenus publicitaires sans aller trop loin pour éviter que le consommateur n'aille voir ailleurs.
En janvier 2016, deux collègues de travail d'une compagnie de fitness, Alex Mather et Adam Hansmann, se lancent à la conquête d'une couverture des sports plus intelligente. Ils jugent le modèle dominant dépassé, peu en phase avec les aspirations du consommateur moderne, frustré par trop peu de contenu et trop de publicités. C'est ainsi qu'est né The Athletic, un site sportif du web (il n'y a pas de version papier) parti de Chicago et déjà implanté dans 47 villes nord-américaines. Sa particularité est une stratégie majoritairement locale, ciblant les clubs et les ligues de sport dans chaque ville. The Athletic utilise des journalistes expérimentés, spécialisés, récemment sortis des médias traditionnels, et leur donne les moyens d'approfondir chaque sujet. The Athletic compte aujourd'hui près de 600000 abonnés sur le continent.
Les lecteurs seront-ils loyaux?
Dans ce modèle d'affaires unique, la génération de revenus provient des abonnements plutôt que de la publicité. The Athletic vend du contenu de qualité accessible via une application mais sans annonces publicitaires. Il mise sur l'appétit des fans de sport à vouloir en savoir plus, et qui sont même prêts à payer pour plus d'informations de qualité. Selon plusieurs sources, ce nouveau média a généré plus de 67 millions de dollars en financement depuis ses débuts. Mais malgré ces énormes investissements, l'entreprise demeure déficitaire. Les journalistes sont bien rémunérés et l'argent est constamment réinvesti dans le produit. Depuis peu, elle a ainsi traversé l'Atlantique pour s'intéresser au très populaire football anglais.
Même dans un marché aussi vaste que l'Amérique du Nord, l'objectif d'être distinct et unique peut se révéler long et coûteux. Innover dans un secteur aussi compétitif que les médias sportifs nécessite du courage et surtout de la patience. The Athletic mise sur la forte demande et sur une offre de qualité. Reste à savoir si les lecteurs seront prêts à demeurer loyaux compte tenu de la très grande variété actuelle de contenus sportifs sur le web, et à payer l'équivalent de 75 dollars américains par année pour un abonnement. ▅
* Ancien directeur du bureau NBA Europe à Genève (basket), vice-président des Canadiens de Montréal (hockey), président des Alouettes de Montréal (football américain) et membre du Comité olympique canadien, Ray Lalonde est consultant indépendant en management du sport.