Le Temps

«Santebouti­que», le profond bazar sonore d’Arno

- PAR OLIVIER HORNER En concert à l’Amalgame, Yverdon-les-Bains, le 17 janvier 2020.

Le chanteur s’offre à 70 ans un treizième album en solo intitulé «Santebouti­que». Une expression belge signifiant «le bazar», et qui lui permet de réactiver son surréalism­e habituel

Il ne sait pas d’où vient cette obsession pour les cons. Sans doute une manière de se protéger de cette généralité constante de la nature humaine, à la manière de Brassens. Sur Santebouti­que, son 13e album en solo et le 33e tous patronymes artistique­s confondus, Arno les dépeint à nouveau. «Etre con et content, c’est bien, c’est naturel», chante-t-il de sa voix éraillée après leur avoir déjà fait un sort il y a trois ans sur Human Incognito, son précédent disque, où il affirmait «je veux vivre dans un monde où les cons ne font pas de bruit».

Avec son éternelle gouaille farfelue, blues et rock’n’roll, le chanteur belge adepte des slogans («le lundi, on reste au lit» ou «putain, putain, c’est vachement bien, nous sommes quand même tous des Européens»), dégaine quelques formules percutante­s au fil de ce Santebouti­que découlant d’une expression belge signifiant «le bordel, le bazar». Dans un hôtel genevois, une matinée de fin août durant laquelle il aurait préféré encore dormir, Arnold Charles Ernest Hintjens – pour l’état civil – essaie de résumer sa pensée, l’oeil aussi espiègle que le cheveu gris ébouriffé.

«On vit dans un monde bordélique, estime-t-il. Le monde aujourd’hui est en train de changer, mais en même temps le conservati­sme et les extrémisme­s y ont une érection comme la tour Eiffel. Je le vis comme un voyeur. La connerie des êtres humains m’inspire pour faire ma musique. Sans eux, je ne suis rien. Je fais partie des êtres humains, mais je ne veux pas que tout le monde soit comme moi, sinon on serait dans la merde car je suis un chanteur de charme raté et je ne veux pas que tout le monde soit comme moi.»

LES FEMMES DE SA VIE

La dérision et le surréalism­e sont encore rois dans les dix titres qu’Arno délivre à 70 ans. Sa raucité clame ainsi un «vive les saucisses de Maurice» sur un titre écrit pour un court métrage contant «l’histoire d’une jeune femme 75% végétarien­ne mariée à un homme 100% macrobioti­que, mais qui couche avec Maurice le charcutier». Ailleurs, Tjip tchip, c’est fini adapte une expression de sa grand-mère Marie-Louise disant que «les hommes, quand ils jouissent, c’est comme les oiseaux, ça fait tjip tjip tchip et c’est fini!». MarieLouis­e, «qui chantait dans les cinémas muets à l’entracte», a beaucoup compté dans la vie d’Arno. Comme ses tantes, qui l’ont élevé et éduqué, et sa mère, à qui il a dédié une fameuse chanson, et grâce à laquelle il a mis le pied à l’étrier du monde du spectacle parce qu’elle l’«emmenait voir des concerts de variétés dans les théâtres d’Ostende».

D’ailleurs, les souvenirs de son enfance et de sa jeunesse au bord de la mer du Nord lui inspirent le magnifique et mélancoliq­ue Oostende bonsoir, tel un tableau de Spilliaert – son héros en matière de beaux-arts avec James Ensor – mis en musique: «Spilliaert allume la digue, comme tous les soirs/ Aux couleurs nostalgie, aux couleurs désespoir/Il nous peint les marées, le ciel et nos regards/Je suis seul avec toi, Oostende bonsoir.»

Arno est intarissab­le sur sa ville de naissance, où son frère vit encore et qui signifie «encore mélancolie et nostalgie. Je vis à Bruxelles mais quand j’y pense le soir, ça réveille toujours beaucoup de nostalgie. A cause de la mer du Nord aussi. Ostende change beaucoup de couleurs. La plus belle couleur, c’est le soir quand le soleil tombe dans la mer, ce moment que Spilliaert a beaucoup peint. J’ai eu une jeunesse incroyable dans cette ville où j’ai fréquenté plein de bars et de clubs de musique, où j’ai été engagé par Marvin Gaye pour faire la cuisine quand il s’y est installé au début des années 1980 avec son fils. Ostende est une ville pleine de mélanges, où les Anglais et les Français se déversent dans les rues le soir après leur arrivée par bateau, où on parle cinq langues, où Cocteau et Gide ont traîné dans le quartier homo du port truffé de maisons closes.» Nuits de débauche auxquelles Arno répond peut-être sur

Santebouti­que par Lady Alcohol et Court-circuit dans mon esprit, une façon de payer ses errances, ivresses et conneries passées à lui.

VIE DE BOHÈME

Si depuis que son «foie a crié au secours» Arno ne boit désormais qu’un verre de rouge de temps en temps avec un repas, il n’en a pas perdu pour autant son humour, et estime surtout avoir eu beaucoup de chance dans sa vie de bohème rock’n’roll. «Je viens d’une famille réfugiée. Quand les nazis sont arrivés en Europe, mon grand-père est parti s’installer en Angleterre. Mon père y a fait son service militaire, chez les Spitfire, l’aviation de chasse. Je fais partie de la première génération qui n’a pas connu de guerres. J’ai vécu des années 1960 et 1970 formidable­s, où on pouvait partir à Katmandou en auto-stop sans risques et ne jamais fumer seul un joint. Notre génération s’est révoltée contre le système, a changé la culture et le rock’n’roll. C’est une génération de partage. J’ai aussi eu de la chance dans la musique, en passant d’harmonicis­te à chanteur de charme raté.»

Raison pour laquelle, peut-être, Arno a passé sa vie à ne jamais se prendre au sérieux. Comme dans sa chanson Vive ma liberté, où il «chante une bête chanson à la française, avec des mots bêtes et artificiel­s, avec des mots branchés et intellectu­els», et qui résume l’état d’esprit dont il ne s’est jamais départi.

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(DANNY WILLEMS)
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Arno, «Santebouti­que» (Believe/Musikvertr­ieb).

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