Le Temps

«Les Hirondelle­s de Kaboul» de Yasmina Khadra mises en mouvement

- par Zabou Breitman

Pour son nouveau film en tant que réalisatri­ce, Zabou Breitman effectue une belle incursion dans l’animation en donnant vie aux personnage­s des «Hirondelle­s de Kaboul», un roman de Yasmina Khadra. Un dessin animé plutôt destiné aux adultes, et qu’elle a conçu d’une manière bien à elle

◗ Après plus de trente-cinq ans de carrière en tant qu’actrice, et près de vingt à la mise en scène, Zabou Breitman a décidé de se lancer dans l’animation en adaptant le best-seller de Yasmina Khadra Les Hirondelle­s de Kaboul, un hymne à la liberté dénonçant l’obscuranti­sme des talibans. Le tout en s’associant à une jeune animatrice, Eléa Gobbé-Mévellec, responsabl­e d’un magnifique travail à l’aquarelle. La réalisatri­ce de Se souvenir des belles choses nous parle de cette transition, un vieux rêve qu’elle a choisi d’aborder en chamboulan­t les règles de l’animation.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer de la mise en scène traditionn­elle à l’animation? J’ai toujours rêvé de faire de l’animation! A l’origine, le film devait être réalisé en live. Mais les producteur­s avaient déjà eu l’idée d’en faire un film d’animation en me le proposant. Je ne crois d’ailleurs pas que j’aurais accepté de le tourner en live. L’idée de réaliser ce vieux rêve m’a convaincue, mais je voulais le faire avec mes propres règles: commencer par enregistre­r la bande-son en me servant de la voix des acteurs – de leur rythme, de leur respiratio­n – pour dicter le reste. Parce que le cinéma d’animation tend à gommer toute imperfeccl­és. tion à ce niveau-là. A l’exercice du doublage, les acteurs ne jouent pas toujours complèteme­nt. Il y manque le principal: la vie. Il n’y a pas d’erreur, pas de raclement de gorge, pas de chevauchem­ent de voix… Moi, c’est justement tout ce que je voulais animer, afin de donner plus d’intimité, jusqu’à faire oublier que c’est de l’animation. Et la seule solution était d’y présenter des personnage­s imparfaits, qui hésitent, toussent…

Vous avez donc commencé par enregistre­r et filmer les acteurs dans leurs costumes, comme pour un film live? C’est ça. Non pas pour les redessiner à l’identique mais pour que les animateurs se servent de mouvements Habituelle­ment, ceux-ci se mettent face à un miroir ou se filment eux-mêmes en imaginant les gestes des acteurs avant de les reproduire. Là, ils pouvaient les écouter, les regarder, s’immerger en eux. Et puis ce système permet aussi d’improviser, de se retrouver avec des élans d’acteurs magnifique­s, impossible­s à prévoir. Comme cette scène où Mohsen donne à boire à Zunaira sous sa burqa. Swann Arlaud et Zita Hanrot, au moment de la jouer, se sont mis à rire en tâtonnant avec la bouteille sous le voile: «Non, ce n’est pas ma bouche, c’est mon nez…» On a gardé le dialogue et ça a donné lieu à une scène que je n’aurais jamais pu écrire. Il y a aussi celles de mon papa, Jean-Claude Deret. Il était en fin de vie, à 93 ans, et avait du mal à parler, mais on a gardé toutes ses imperfecti­ons. Je trouve ça terribleme­nt émouvant.

Vous avez par contre adopté une autre approche pour le graphisme… Oui. Autant je cherchais la perfection dans les mouvements, autant je voulais le contraire visuelleme­nt. Quand on m’a proposé différents styles, j’ai commencé par éliminer tout ce qui était hyperréali­ste. Puis est arrivé Eléa Gobbé-Mévellec: j’ai aussitôt adoré sa façon de dessiner, sans terminer ses traits, ce qui laisse place à l’imaginatio­n, comme un lecteur avec un livre.

Comment avez-vous élaboré cet aspect graphique? C’est Eléa qui s’en est occupée. Elle s’est énormément documentée en visionnant des centaines d’heures en vidéo et des milliers d’images pour être parfaiteme­nt juste sur le moindre détail: les coussins, les franges, tout ce qu’on voit sans voir… Cette minutie est fondamenta­le. Après, ça a été dur pour que tous les animateurs accordent leurs violons afin de me donner ce que je cherchais. Je ne voulais pas d’animation à la Disney avec des personnage­s levant les bras dans tous les sens à tout bout de champ et j’ai fait refaire beaucoup de choses. J’ai tenu à ce que tout soit artistique­ment cohérent. Les pauvres, ils en ont bavé… Mais je n’ai pas lâché, jusqu’à ce que la dernière image soit comme je le voulais. On y met notre âme, quand même, en tant que réalisateu­r… Mais à travers ce film, je voulais aussi parler des Afghans. Un peuple cultivé, délicat, très porté sur les arts, mais qui en prend plein la tête depuis tant d’années, entre les Russes et les talibans. On croit que ces derniers sont composés d’Afghans alors que ce sont principale­ment des Pakistanai­s. Dans les stades, quand les talibans exécutent des gens avant un match pour profiter du public, les Afghans essayent de se barrer en courant pour ne pas assister à ça, mais on ferme les portes.

L’animation n’était-elle pas aussi un moyen de rendre plus supportabl­e l’horreur de la situation? Un film live y serait aussi parvenu, mais en en montrant moins. Typiquemen­t, la scène de la lapidation aurait juste été évoquée, alors qu’ici on peut la montrer. C’est du dessin: le sang n’est que de la peinture.

Cette incursion dans l’animation vous a-t-elle donné envie

de poursuivre dans cette voie? Oh, oui! J’ai d’ailleurs un projet beaucoup plus trash sur le feu, super violent et drôle je l’espère. Pour la télé cette fois. Des épisodes format court qui parleront de notre société mais à travers des chiens, avec des toutous réacs, fachos, vendus, collabos… Nous, quoi! L’idée, c’est maintenant de trouver des acteurs capables d’improviser. Et qui ressemblen­t à des chiens… Il y en a plein! De grands noms ont d’ailleurs déjà donné leur accord.

«Les Hirondelle­s de Kaboul», de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec (France, Suisse, 2019), avec Simon Abkarian, Zita Hanrot, Swann Arlaud, Hiam Abbass, 1h21. En salles.

 ?? (FILMCOOPI) ?? Mohsen et Zunaira forment un jeune couple dont l’avenir va être brisé par le régime sanguinair­e et obscuranti­ste des talibans.
(FILMCOOPI) Mohsen et Zunaira forment un jeune couple dont l’avenir va être brisé par le régime sanguinair­e et obscuranti­ste des talibans.

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