«La situation financière de l’ONU est très difficile»
Tatiana Valovaya, ancienne diplomate moscovite, est la première femme à occuper le poste de directrice générale de l'Office des Nations unies à Genève. Elle n'est pas du sérail onusien, mais entend faire parler son expérience du multilatéralisme au profit de la Genève internationale
A 61 ans, Tatiana Valovaya est la première femme à diriger l’Office des Nations unies à Genève. Russe, elle a succédé cet été au Danois Michael Møller. Docteur en économie, ex-journaliste, elle a longtemps oeuvré en tant que fonctionnaire et diplomate au sein de l’Etat russe. Elle fut la première femme nommée vice-ministre des Affaires étrangères par Vladimir Poutine. Elle livre au Temps ses premières impressions.
Vous avez pris vos fonctions de directrice générale cet été. Vous n’êtes pas issue du sérail onusien. Quelles sont les premières impressions de l’ONU de l’intérieur? C’est un grand honneur, un privilège et une grande responsabilité que d'être ici. Même en tant qu’outsider, j’ai collaboré pendant plusieurs années avec l’ONU. Je suis venue à Genève notamment dans le cadre de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) et la Commission économique pour l’Europe. En dépit de cette expérience extérieure avec l’ONU, je n’avais pas réalisé le travail pointu qui est accompli aux Nations unies, même en qualité de professionnelle des relations internationales. Depuis que je suis ici à Genève, je peux constater le travail ambitieux, nécessaire et fructueux qui y est effectué. C’est donc ma conviction. L’ONU doit davantage communiquer ce qu’elle fait.
Vous parlez de difficultés financières. Comment allez-vous gérer cette période de vaches maigres? Notre situation budgétaire est effectivement très difficile. Avant d’arriver à Genève, je n’en avais pas mesuré l’ampleur. Le budget actuel ne nous permet pas de mener à bien tous les mandats qui nous ont été confiés. On nous demande de fournir davantage de services avec moins de ressources. Il faut être honnête: la situation financière est très difficile et c’est un vrai défi. Nous avons besoin du soutien des Etats membres si ceux-ci veulent que nous menions à bien les mandats donnés.
Vous avez l’impression d’être entendue à New York? Cette situation difficile ne concerne pas que Genève. Elle touche tout le système onusien. Le secrétaire général, Antonio Guterres, l’a dit en toute franchise.
Le Plan stratégique patrimonial qui prévoit la rénovation du Palais des Nations pour plus de 800 millions de francs est-il affecté par les problèmes financiers? Non, toutes les décisions à propos du Plan stratégique ont déjà été prises. Nous n’avons pas d’obstacles financiers. Les travaux avancent bien. Mais mon équipe espère pouvoir rattraper les six mois de retard actuels dans la mise en oeuvre du Plan. Pour moi, il est important de communiquer sur le Plan stratégique. Mais il importe aussi de parler d’autres projets, comme le Portail des Nations.
Où en est le projet de Portail des Nations? Nous sommes tout au début. Il y a encore beaucoup de détails à régler. Mais c’est un grand projet qui nous permettra d’accueillir les visiteurs du Palais des Nations dans de meilleures conditions, dès 2024. Ce sera un projet par lequel nous pourrons mieux communiquer avec les citoyens de Genève et de Suisse, mais aussi avec les visiteurs d’ailleurs.
Avec la montée de puissances dites du Sud, comme la Chine, le multilatéralisme est en train d’être redéfini. Que vous inspire cette phase nouvelle du système multilatéral? Les gens parlent de crise du multilatéralisme. Je parle de transition, d’un multilatéralisme nouveau, moderne, du XXIe siècle. Soyons francs. Il y a cent ans, le multilatéralisme, c’était des discussions entre 30 voire 40 puissances, surtout européennes. C’était déjà bien et un grand progrès par rapport au passé. Mais aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de cette structure. Tous les membres de l’ONU doivent être inclus dans la discussion. Le multilatéralisme connaît aussi un changement de paradigme social et économique. Même si la relation entre Etats est clé, le multilatéralisme, ce sont aussi les organisations internationales et régionales, les ONG, des institutions privées et des citoyens. Il suffit de voir ce qui se passe en matière de lutte contre le changement climatique. Il y a désormais beaucoup plus de partenaires à prendre en compte. Pour vous, citoyenne russe, l’affranchissement d’un multilatéralisme avant tout occidental est-il une bonne chose? Quand j’étais encore fonctionnaire russe, j’ai beaucoup travaillé à développer de nouvelles structures multilatérales, notamment au sein de la Commission économique eurasiatique. Nous nous sommes beaucoup inspirés de l’expérience de l’Union européenne dont nous avons repris beaucoup de choses. Mais nous n’avons pas repris son processus de décision par lequel les grandes puissances économiques ont plus de poids que les autres. Selon notre modèle, toute puissance a le même droit de vote, le même poids, indépendamment de sa force économique. C’est une petite révolution dans le système multilatéral. C’est ce dont nous avons besoin aujourd’hui. Cela permettra de créer davantage de confiance, de stabilité.
Vous avez été nommée à la tête de l’ONU Genève notamment dans le cadre d’une redistribution géographique opérée par le secrétaire général Antonio Guterres. Quelle est votre indépendance vis-à-vis de Moscou? Je suis Russe et l’ai toujours été et vais continuer à parler le russe et à lire de la littérature russe. Hormis cinq ans à Bruxelles, j’ai vécu tout le temps à Moscou. Cependant, au cours des huit dernières années, je n’étais plus fonctionnaire russe, mais fonctionnaire internationale de la Commission économique eurasiatique. C’est à ce titre que je travaillais pour défendre les intérêts de la Commission dont les positions ne coïncidaient pas toujours avec celles de mon pays d’origine. Et je fais la même chose ici. Aujourd'hui, je suis fonctionnaire de l'ONU et je représente l'ONU.
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«Le budget actuel ne nous permet pas de mener à bien tous les mandats qui nous ont été confiés» TATIANA VALOVAYA DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’OFFICE DES NATIONS UNIES À GENÈVE